Michel Théry, - l'anatomiste de la formation

“Il est difficile d'être déterministe."

Par - Le 16 novembre 2012.

Ce n'est pas la dizaine de postes qu'il aura occupé en une quarantaine d'années qui démentira l'impression qui se dégage d'une rencontre avec Michel Théry : cet homme aime le mouvement ! Et ce n'est pas non plus la retraite qui vient de mettre fin à douze années de collaboration avec le Céreq − son record de longévité professionnelle − qui l'arrêtera : engagé sur le plan associatif, “avec quelques expériences à faire valoir", Michel Théry “espère par ailleurs bien continuer à travailler sur [ses] sujets de prédilection". Plus que ces derniers, que l'on pourrait résumer à une passion pour les questions de formation continue et d'insertion, ce qui frappe chez l'ex-chef du département formation et certification du Céreq réside dans le rapport aux faits, lesquels semblent n'exister qu'au prisme de l'analyse. Intarissable sur les questions de société mais peu disert sur sa personne, Michel Théry se raconte peu. On l'imagine cependant volontiers, enfant, enchaîner jusqu'à la caricature les questions sur le pourquoi du monde. Esprit critique, Michel Théry semble n'accepter aucune réponse qui ne soit étayée par une étude longitudinale… Cherchez à en savoir plus sur les fondements de son parcours et la réponse, qui commence de manière assez traditionnelle − “à 5 ans, je voulais être pompier, à 15 ans, agriculteur" − ne tarde pas à dériver : “Conceptuellement, je n'arrive pas bien à comprendre ce que l'on désigne par le terme d'orientation. Disons que les gens vivent et sont conduits à faire implicitement ou explicitement des choix. Est-ce que ces choix doivent être appuyés par un grand service public de l'orientation, j'espère bien que non !" Et d'embrayer sur une démonstration basée sur les études du Céreq, lesquelles donneraient “des raisons de penser que la solution de ce problème se trouve à l'intérieur de l'institution scolaire". Soit. Ni pompier ni agriculteur, Michel Théry se piquera finalement d'économétrie et d'histoire de la pensée économique, qu'il enseignera dix ans durant à Dauphine, Université issue de mai 68. Malgré le caractère expérimental de la fac, une anecdote, au sujet d'une princesse de Monaco qui venait en cours avec son chien, lui sert à prouver la difficulté “de recruter en dehors des catégories aisées"… Sujet d'étude pour le Céreq : “Les résultats tout à fait positifs de ces étudiants aisés étaient-ils dus à nos enseignements ou à leurs propres parents et à leurs réseaux sociaux ?", s'interroge-t-il encore. Ce n'est pas la réponse à cette question qui le fera quitter l'Université, mais la manifestation des dommages collatéraux du régime Pinochet : “J'avais entamé une thèse en 1973 sur l'économie chilienne car j'étais convaincu que ses choix allaient entraîner la catastrophe, mais il s'est avéré qu'elle ne s'est pas si mal portée. Je suis donc allé de déception en déception et j'ai abandonné cette thèse en me disant que je n'étais pas fait pour ça…" Le prix Nobel s'éloigne à jamais, la probité y gagne et le militantisme ne perd rien pour attendre : devenu inspecteur du travail “pour aller voir les boîtes de l'intérieur", il participe à la création de l'association Villermé, dont l'objectif principal, dans un esprit proche du Syndicat de la magistrature, qui naissait à la même époque, sera “de favoriser les échanges sur les pratiques professionnelles, développer la réflexion et l'action collective".

Le tournant suivant viendra de la rencontre avec Bertrand Schwartz, alors délégué interministériel à la jeunesse. Séduit comme tant d'autres par “l'éternel expérimentateur", Michel Théry rejoint l'équipe de la rue Saint-Dominique pour se consacrer aux Missions locales. Enthousiaste sur l'expérimentation, il se dit aujourd'hui déçu par ce qu'il estime être “l'échec total de la généralisation". À la différence des PAIO qui se concentraient sur la case formation, les Missions locales entendaient s'attaquer à l'ensemble du problème, “la question était donc de partager l'utilisation des moyens d'action avec ceux qui avaient du pouvoir en matière de logement, de santé, d'éducation, etc.", explique-t-il. Or, non seulement les réseaux interinstitutionnels n'auraient pas réellement fonctionné, mais en plus a-t-on “progressivement transformé toutes les PAIO en Missions locales, répétant ainsi cette dogmatique dépourvue de fondement qui veut que l'issue soit dans la formation".

Tour à tour DRFP de la Haute-Normandie puis premier non-magistrat à diriger la Division du travail et de la formation des détenus, Michel Théry se rapproche ensuite d'une fonction plus exposée en devenant conseiller technique du ministre de la Ville Michel Delebarre. De son propre aveu “guère enthousiasmé par les mœurs politiques", il devient délégué à l'insertion des jeunes où, là aussi, il supporte mal de devoir agir en fonction de tractations de coulisses qui contredisent les minutes des débats parlementaires. Prenant le large, il devient délégué général de l'Association nationale des entreprises pour l'insertion, avant de rejoindre le Plan pour mettre en place le groupe Prospective métiers et qualifications, dans la foulée du rapport Boissonnat. Belle occasion pour ce Marseillais d'origine de se rapprocher du Céreq, qu'il finit par rejoindre. Il ne le sait pas encore, mais il y finira sa carrière, enthousiasmé par le “système de coopérations" qui prévaut. L'actuel directeur de l'institution, Alberto Lopez, confirme : “Il paraît qu'il a bondi de joie lorsqu'il a appris qu'il était recruté !" Euphorique mais aussi “travailleur infatigable", il aura notamment apporté “une vision des études et de la recherche très connectée aux politiques publiques, avec la conviction que l'on pouvait amener les décideurs à remettre en cause les choses existantes". En ce sens, “il était un peu comme un poil à gratter, qui manquera au Céreq". La preuve ? Revendiquant pour l'établissement un rôle dans la diffusion d'un “diagnostic partagé", Michel Théry n'en estime pas moins que “les solutions mises en œuvre par les décideurs n'ont pas été à la hauteur des attentes". Habile à poser des questions, exigeant dans les réponses… tel est Michel Théry.