6es Rencontres de l'orientation en Rhône-Alpes : “Pas de véritable service public sans coopération"

Par - Le 16 juin 2013.

Comment passer du partenariat à la coopération, ou “de la somme des parties à la construction du tout" ? La décentralisation, “cela ne veut pas dire que chacun fait n'importe quoi dans son coin". Fortes paroles entendues lors des 6es Rencontres régionales de l'orientation tout au long de la vie en Rhône-Alpes − à Lyon, le 28 mai dernier.

L'État : “On vous envoie la coopération !" La Région : “Non ! L'argent d'abord." À en juger par les rires déclenchés, l'intervention de la compagnie de théâtre chargée d'assurer les intermèdes ludiques des 6es Rencontres a fait mouche aux oreilles des quelque 250 participants. Facile ? Voire… Quoi qu'il en soit, l'amphithéâtre était comble pour accueillir une thématique aussi sensible que récurrente depuis la loi du 24 novembre 2009. Donnant le top départ national d'une mise en synergie des acteurs déjà bien souvent initiée à l'échelon régional. Emblématique de la complexité décrite par Edgar Morin, la question du partenariat et de la coopération était bien au centre des échanges qui ont animé les Rencontres. Présentée par Philippe Meirieu, vice-président du Conseil régional en charge de la formation tout au long de la vie, elle est apparue tout à la fois ancrée dans l'Histoire et indispensable à l'atteinte des objectifs de service public.

Du “chacun pour soi" au “construire ensemble"

D'abord l'Histoire : “Contrairement à la formation initiale, les questions d'orientation et de formation professionnelle continue n'ont pas fait l'objet d'une structuration nationale et verticale avec un très fort engagement de l'État et l'uniformisation jacobine de l'ensemble des procédures sur le territoire, explique-t-il. Le revers de la médaille, c'est une multitude d'acteurs qui ont chacun leur place, leur expérience
et leurs compétences", cependant amenés à “réviser leurs postures et leur place". D'autant plus compliqué que ces acteurs n'apparaissent pas toujours aux yeux des décideurs “très logiques dans leur positionnement".

Certes, “ce qui n'est pas logique a toujours une explication chronologique, mais il n'empêche que la somme des justifications chronologiques ne fait pas une cohérence", poursuit Philippe Meirieu. Aussi, passer du partenariat à la coopération implique-t-il de “passer de la somme des parties à la construction du tout". Valeur ajoutée d'un système coopératif par rapport à la simple juxtaposition et mutualisation : “Ne pas se contenter de mettre en commun,
mais créer quelque chose […] qui ne peut pas être créé sans l'apport de l'ensemble des contributeurs."

Entre les finalités et les pratiques

Invitant à penser les modes de coopération, Philippe Meirieu suggère trois pistes. Premièrement, une réflexion collective sur la question des finalités, lesquelles ne font pas consensus, mais génèrent des “tensions" qui doivent être travaillées : “Les conflits de légitimité n'opposent pas des coupables et des victimes, mais des logiques qu'il convient de confronter et qui obligent à inventer
des solutions nouvelles qui ne préexistent pas au problème", insiste-t-il. De même, la coopération passe par la “réconciliation entre les pôles de l'économie, du social et du politique", terrain d'affrontement qui ne connaît pas non plus de “superposition immédiate et spontanée des enjeux". Ibid pour l'orientation et la formation, traversées par des perspectives “personnelle, professionnelle et culturelle", toutes légitimes et donc à prendre en compte. Deuxièmement, il faut une “réflexion permanente sur les rapports entre les finalités et les pratiques", décrits par Philippe Meirieu comme une “chaîne à double sens" qui nécessite une “coopération obstinée et besogneuse" pour travailler sur la cohérence entre les déclarations et les actes. La troisième piste questionne, elle, directement Rhône-Alpes, où s'est fait “le choix d'une véritable coopération entre l'État, la Région, les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs pour l'élaboration collective de projets AIG/ SPO territoriaux". Lesquels réclament un “travail de coopération patient et minutieux pour construire ensemble et de manière solidaire un service public au plus proche des citoyens". Abordant en conclusion la question de l'évaluation, le vice-président de la Région Rhône-Alpes invite à “éprouver la qualité de la coopération à la qualité de ce qu'elle génère en termes de service public". C'est-à-dire ? “Des capacités que nous nous donnons collectivement à promouvoir à la fois les personnes et le collectif d'une manière citoyenne et solidaire."

Un bilan des labellisations Orientation pour tous

À l'occasion des 6es Rencontres, le délégué à l'information et à l'orientation (DIO) Jean-Robert Pitte a dressé un état des lieux des labellisations Orientation pour tous. “137 territoires labellisés, Dom compris", c'està- dire un peu plus d'un tiers du territoire
national, indique-t-il.

Estimant que cela aurait pu être “beaucoup plus rapide" si les Régions avaient été, selon son souhait, dès l'origine associées au débat, Jean-Robert Pitte a pris acte de l'évolution à venir dans la perspective de la loi de décentralisation. Évoquant un texte qui ne devrait pas être promulgué avant 2014, le DIO appelle cependant à ne pas perdre de temps et à continuer d'oeuvrer sans attendre pour une “orientation attractive et séduisante".

Parmi les retombées positives des labellisations, il relève notamment l'impact en matière de communication entre les différents acteurs, de premier accueil et de repérage. Et alors que les centres d'information et d'orientation (CIO) sont souvent malmenés − il rappelle les travaux de Gilles Kepel, selon lesquels certains jeunes de banlieue préfèrent se rendre au commissariat de police qu'au CIO… −,
Jean-Robert Pitte souligne également les retours positifs pour l'acteur
historique de l'orientation, qui s'est ainsi fait “mieux connaître et, finalement, mieux voir de l'ensemble des acteurs et des usagers". Principale critique adressée par les détenteurs de la labellisation Orientation pour tous : encore et toujours, le manque de moyens et le caractère chronophage des partenariats et coopérations. La réponse du DIO est double : déjà maintes fois entendue, lorsqu'il estime, à l'adresse des acteurs, qu'il est “des synergies qui ne coûtent rien" ; facétieuse, lorsqu'il lance à Philippe Meirieu : “Maintenant que les Régions sont en charge, l'argent va couler à flots !"

“Stimuler l'énergie" des Régions manquant à l'appel ?

En attendant... Interrogé en marge des Rencontres, Jean-Robert Pitte ne fait pas mystère que sa fonction est appelée “à disparaître dans la loi de décentralisation". Au moins espère-t-il “que la dynamique de 2009 ne soit pas cassée par un trop grand éclatement". En poste depuis 2010, le DIO tient néanmoins à rappeler
avoir plaidé, lors de l'élaboration des décrets d'application de la loi de
novembre 2009, pour que les labellisations soient à la fois signées par le préfet de région et le président du Conseil régional. Si ce choix n'a pas été retenu jusqu'alors, il se félicite aujourd'hui que les Régions soient en passe de devenir les maîtres d'œuvre. Non sans appeler toutefois à ce que le niveau national ne disparaisse pas au passage. “La décentralisation, cela ne veut pas dire que chacun fait n'importe quoi dans son coin, il faut préserver l'unité du service public", prévient-il.

Citant la Région Rhône-Alpes, mais aussi la Bretagne, le Nord-Pas-de- Calais, le Centre ou encore l'Auvergne en exemple, Jean-Robert Pitte regrette que d'autres collectivités, comme les Régions Midi-Pyrénées, Languedoc- Roussillon ou Bourgogne, n'aient pas encore rejoint le mouvement. “Ce n'est pas une question de loi mais de culture", analyse-t-il. Et de conclure : “Espérons que l'acte III de la décentralisation stimule les énergies de ces Régions..."