Carrefour : un parcours linguistique pour 40 000 salariés
Par Benjamin d'Alguerre - Le 01 mars 2013.
Parmi les reproches souvent adressés aux entreprises dans la gestion de leur politique de formation, un leitmotiv revient fréquemment : les fonds de la formation ne seraient destinés qu'à l'acquisition des compétences-métiers des salariés ou à leur adaptation au poste de travail, au détriment de leur développement personnel. De fait, l'initiative lancée par Carrefour en janvier 2012 visant à développer le niveau d'anglais de près de 40 000 de ses collaborateurs (hôtesses de caisse et équipiers de rayon) dépasse le strict objectif de répondre aux besoins opérationnels des salariés de ses hypermarchés pour tendre à répondre à ce qui constituait une demande émanant de la base.
L'apprentissage linguistique n'est pas une prérogative des cadres
Certes, le processus n'était pas exempt d'une vision stratégique, puisque les salariés de plusieurs hypermarchés étaient concernés par la problématique d'une maîtrise accrue de l'anglais du fait de la présence d'une clientèle anglophone croissante (Riviera, Normandie, Aquitaine, etc.). L'initiative n'était d'ailleurs pas nouvelle, deux magasins (Antibes et Calais), ayant déjà fait le choix d'imprimer et de diffuser quelques fascicules d'anglais basique destinés à leur personnel. Mais les 40 000 collaborateurs potentiellement visés par le déploiement d'un outil e-learning commun à tout le groupe étaient loin d'être concernés par la mise en application pratique des compétences linguistiques acquises.
“Malgré notre ambition de former un maximum de collaborateurs, il nous a fallu tenir compte d'un contexte complexe", se souvient Alban Baudry, responsable pédagogique de l'enseigne. Un contexte de contraintes horaires des salariés (travail de nuit, disponibilité en fonction des pauses, etc.), mais aussi de l'hétérogénéité des profils, des métiers (plus de soixante recensés dans un hypermarché de l'enseigne), sans oublier quelques obligations techniques (bande passante suffisante et ordinateurs mis à disposition des salariés). “Surtout, nous voulions sortir de l'image qui voudrait faire de l'apprentissage linguistique une prérogative exclusive de l'encadrement", explique le responsable pédagogique de Carrefour France.
Des modules “sur étagère" assortis de contenus spécifiques
Toutefois, le volume de salariés susceptibles de se former (la démarche reposant sur le volontariat) et la multiplicité de leur rapport à l'anglais empêchaient l'enseigne de développer des contenus sur mesure, tout en imposant cependant de recentrer les apprentissages sur la relation client telle que pratiquée au sein des magasins de la marque. Si le principe du recours au e-learning appartient de longue date à la culture de la formation chez Carrefour (les premiers modules pédagogiques électroniques ayant été déployés dès le début des années 2000 dans le groupe), l'enseigne s'est tournée vers le développeur Altissia pour élaborer sa pédagogie.
“Face aux besoins exprimés, nous avons choisi de déployer des contenus « sur étagère », tout en y adjoignant des modules sur mesure, adaptés à la réalité des collaborateurs de l'enseigne", expose Valérie Beaulieu, responsable de la filiale française de cet éditeur e-learning belge. Axé sur l'apprentissage des fondamentaux de la langue anglaise, le contenu des formations en ligne a été élaboré selon trois niveaux (“découverte", “débutant" et “intermédiaire"), déclinés en neuf modules de trois heures chacun. Mais outre les vidéos et exercices “sur étagère", Altissia et Carrefour ont procédé à la conception originale de saynètes tirées du quotidien des équipiers de la marque. “Plusieurs d'entre eux se sont prêtés à l'exercice du « shooting photo » dans la pratique de leur métier, se rappelle Valérie Beaulieu, ce qui a fait naître une certaine émulation entre salariés et a créé un contexte favorable à l'apprentissage." Lancé en janvier 2012, la première session pédagogique a concerné tout d'abord les équipiers de rayon. La seconde, commençant début 2013, s'adresse aux hôtesses de caisse.
Un an après : un résultat encore faible
Le dispositif n'a, pour l'instant, pas pu être évalué dans son ensemble, du fait de son caractère récent. Cependant, les premiers résultats de terrain (2012-2013) se sont révélés décevants, puisque si 10 000 inscriptions sur l'ensemble des modules ont été recensées, moins de 10 % auraient donné lieu à une validation finale. “Ces premières estimations sont faibles", admet Alban Baudry, qui explique ce bas taux de validation par l'aspect personnel de la démarche, sans compter qu'en moyenne, un magasin ne dispose que de trois ou quatre ordinateurs alloués au personnel. “Mais les véritables résultats tangibles ne seront observés que d'ici un an", souligne le responsable pédagogique, qui se veut optimiste pour la croissance sur le long terme, puisque fin 2012, sur 400 formations suivies, le taux de réussite était de 75 %. Un optimisme qui se traduit d'ores et déjà par la volonté de déployer des pédagogies particulières dans d'autres langues (italien, espagnol) dans des zones géographiques ciblées.