Cned : la reconquête est-elle possible ?
Par Nicolas Deguerry - Le 01 mars 2013.
Établissement public du ministère de l'Éducation nationale, le Centre national d'enseignement à distance (Cned), “premier opérateur européen et du monde francophone" dans son domaine, implanté au Futuroscope de Poitiers, a mal supporté le choc de la révolution internet et n'a cessé de reculer, ces dernières années, face à ses nouveaux concurrents. La Cour des comptes vient d'ailleurs d'épingler son modèle économique. Directeur général depuis 2011, Serge Bergamelli entend réagir. Explications.
Que le Cned n'ait pas la réactivité d'une start-up, nul ne saurait le lui reprocher. Qu'il ait à ce jour complètement raté le passage du cours par correspondance au monde de la e-formation, lui-même le reconnaît. De fait, certains classements peuvent être trompeurs : premier opérateur d'enseignement à distance (EAD) en Europe et dans le monde francophone, il n'en a pas moins été attaqué sur tous les fronts au cours de la dernière décennie.
L'alerte n'émane pas des syndicats, mais du projet d'établissement 2012-2015, adopté au mois de décembre dernier : alors que le développement du e-learning a entraîné des bouleversements dans les pratiques de l'EAD et l'apparition d'une concurrence, “le Cned n'a su tirer profit ni de cette croissance ni de cette mutation". Conséquence : “Des inscriptions en chute libre entre 2000 et 2011, pour passer de 368 000 inscrits à 202 000."
Le nombre d'inscrits s'est “effondré"
Si ce recul était inévitable avec la disparition d'un quasi-monopole, le projet d'établissement n'en dresse pas moins un constat lucide, soulignant d'ailleurs une “baisse des effectifs [qui] avoisine aujourd'hui les 50 % en total cumulé". Et les chiffres sont encore plus mauvais dans le champ de la formation professionnelle : le projet relève que le nombre d'inscrits au Cned s'est “effondré", passant de 59 500 inscrits en 1999 à 13 000 en 2011, alors même que le marché était en croissance d'environ 8 %. Traduction financière de la débâcle : sur “un marché global de la FPC évalué à 31,3 milliards d'euros [en 2009], le Cned n'en captait plus que 5 266 000 euros". FPC donc, mais aussi international, accompagnement et soutien scolaire ou encore enseignement supérieur, tous les principaux segments sont touchés.
Comment “apprendre à l'ère du numérique" ?
Des raisons d'espérer ? La nomination en août 2011 d'un expert du développement numérique à la tête de l'institution témoigne sans doute d'une prise de conscience des enjeux. Le nouveau directeur général, Serge Bergamelli, qui, à la différence de ses prédécesseurs, n'est pas recteur, le reconnaît lui-même : “Le ministère [ 1 ]Ministère de l'Éducation nationale, alors dirigé par Luc Chatel. recherchait quelqu'un capable de mettre en route une transformation technologique." Deux termes qui sont repris dans le projet d'établissement, lui-même placé sous le signe de l'“Apprendre à l'ère du numérique".
Face à un apprenant décrit comme “massivement équipé, connecté, en réseau", le Cned prend acte du “nouveau visage" de l'EAD, qui devient “une modalité d'apprentissage pour tous, et non plus un palliatif pour ceux qui sont « empêchés » d'accéder à un lieu traditionnel d'enseignement ou de formation".
Reconquête des parts de marché par un “repositionnement de l'établissement" appelé à devenir un “véritable acteur du e-learning", c'est “l'ambition renouvelée". Laquelle nécessite une “transformation technologique" de grande envergure et donc d'innover en production comme en pédagogie.
Tous les métiers du Cned sont “en mutation"
Si un tel programme suppose d'investir massivement dans les outils (environnement numérique de travail, systèmes d'information), le projet d'établissement laisse entendre que le défi majeur en termes d'évolution est peut-être ailleurs : de la relation client aux enseignants en passant par les producteurs, ce sont tous les métiers du Cned qui apparaissent “en mutation". Et si certains besoins sont traités par le recrutement, nombreux sont ceux qui nécessitent l'accompagnement des personnels en poste. Les travaux de “Refondons l'école" ont montré combien il était difficile de formaliser ce que devrait être l'enseignement au XXIe siècle, l'inventaire à la Prévert des nouveaux métiers de l'enseignant Cned identifiés par le projet d'établissement le confirme : “producteur numérique", “concepteur de grains" (la plus petite unité pédagogique), “opérateur de services d'EAD", “accompagnateur", “tuteur", etc., peu des métiers stratégiques pour un Cned renouvelé sont aujourd'hui clairement identifiés par le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois. Au-delà des référentiels à produire, il y a là un chantier social que la direction générale du Cned est loin d'ignorer.
Le Cned n'a pas perdu ses inscrits en un jour, il ne les regagnera pas en un an. À l'heure où la Cour des comptes vient de tirer à boulets rouges sur l'opérateur, le projet 2012-2015 prend des allures de dernière chance.
ENTRETIEN AVEC SERGE BERGAMELLI, Directeur général du CNED
“Nous allons recruter, nous allons former"
Vous avez été nommé en août 2011, quels sont vos objectifs ?
Le Cned a perdu des inscrits entre 2000 et 2010, nous avons désormais enrayé la chute à la fin de l'année 2012. Nous souhaitons maintenant très nettement remonter, sur tous les segments, à environ 300 000 inscrits. Nous pensons atteindre dès cette année les 230 000 mais la descente est plus rapide que la reconquête : il faut cinq ans pour retrouver un niveau d'inscrits très significatif. Je ne peux pas dire que je retrouverais le niveau des années 2000, mais mon mandat vise à inverser la courbe.
Comment le Cned aborde-t-il la question de l'évolution du concept d'enseignement à distance ?
Depuis très longtemps, le Cned n'était plus simplement un établissement d'EAD, mais un établissement d'apprentissage à distance. Nous avons bien un couple dans l'apprentissage à distance : celui qui enseigne, celui qui apprend. La vraie question est celle de l'ingénierie, pour permettre à celui qui est à distance d'apprendre. Conceptuellement, le saut à franchir n'est pas difficile, c'est apprendre en ligne, apprendre connecté, apprendre à l'ère du numérique. Nous pouvons très fortement capitaliser sur tout ce que l'on produisait pour le “à distance".
Est-il possible de faire face à la concurrence lorsque l'on conduit une mission de service public avec une double tutelle ministérielle ?
Quand nous faisons le bilan des dix ans qui viennent de s'écouler, ce n'est pas la double tutelle qui pose problème. Ce qui s'est passé est beaucoup plus fin : premièrement, en tant qu'opérateur public, nous avons un catalogue de 1 620 formations, plus ou moins équilibrées entre l'investissement et l'exploitation. Ce qui s'est passé dans le champ de la formation initiale et continue, c'est que le champ concurrentiel s'est développé sur certains segments de portefeuilles. Penser qu'il y a d'un côté le service public, de l'autre le champ concurrentiel, c'est complètement oublier que la formation est un marché. Deuxièmement, il y a eu une évolution sur le supérieur avec l'autonomisation progressive des Universités, concrétisée par la LRU. Le résultat est qu'elles ont développé leurs propres services de formation à distance.
Le projet d'établissement évoque fortement le e-learning, est-il aujourd'hui possible de se construire un parcours à la carte ?
La construction de parcours entièrement individualisés ne peut se faire qu'avec un financeur et un donneur d'ordre qui spécifient. En l'état actuel et à titre individuel, vous ne pouvez pas aller vers une granularité de type sur-mesure. Ceci, parce que la structuration des contenus n'a pas été pensée pour cette granularité dans les systèmes de production antérieurs. Mettre en place des systèmes de formation réellement calés sur la cartographie des compétences, c'est le graal du e-learning. Aujourd'hui, les systèmes sont encore assez rigides, même si les plateformes d'apprentissage sont de plus en plus souples. Mais avant de passer sur un LMS de type Blackboard ou Moodle, il faut se poser la question de savoir comment les contenus ont été structurés à la production. C'est pourquoi nous refondons actuellement toute notre plateforme de production de contenus.
Quelle part allez-vous accorder à l'évolution des personnels et aux recrutements ?
Nous allons recruter, mais l'un des grands enjeux est le plan de formation pour nos 2 300 personnels, ce qui suppose une redéfinition des postes actuels. Si vous prenez nos 88 responsables de formations, avec le même intitulé, les contenus et les compétences changent actuellement. C'est un important chantier de GPEC pour la DRH, qui sera accompagnée pour cela par un cabinet. La transformation du Cned ne se fera pas uniquement en recrutant des contractuels. En matière d'ingénierie de la formation, par exemple, la question centrale est de déterminer ce qui change entre formation à distance et formation en ligne. Nous avons un savoir-faire indéniable, je ne vais pas me séparer de ces compétences-là. Il y a donc bien un pari de la formation, même si nous savons que nous ne passerons pas facilement de la production papier au webdesign.
Quels sont aujourd'hui les atouts du Cned ?
Le premier atout, ce sont ses personnels. Vous avez une culture de l'“enseigner à celui qui n'est pas présent". La pédagogie et l'ingénierie de formation de tous nos parcours sont pensées avec cet adage : “Il ne suffit pas d'enseigner pour qu'ils apprennent, mais posons-nous la question de savoir comment ils apprennent quand ils sont éloignés de nous." La première richesse du Cned, c'est ce savoir-faire de ses personnels dans l'ingénierie de la formation à distance. Nous avons deuxièmement une incontestable richesse éditoriale, avec des auteurs de très grande qualité qui couvrent la quasi-totalité des disciplines et des formations, de la grande section de maternelle jusqu'au master. Le Cned est aussi, troisièmement, une marque, avec une histoire qui dure depuis 1939 et, il ne faut pas l'oublier, un rayonnement à l'international.
Propos recueillis par N. D.
QUESTIONS A SYLVIE PERFETTI, Directrice de la formation continue, alternance et services d'accompagnement au Cned
“La clé : l'accompagnement des bénéficiaires"
Créée en 2003, la direction de la formation professionnelle continue du Cned avait depuis disparu. Elle vient d'être rétablie sous la forme d'une direction de la formation continue, alternance et services d'accompagnement, confiée à Sylvie Perfetti. Principaux objectifs décrits au projet d'établissement 2012-2015 : “Retrouver en cinq ans le niveau d'activité des années 2000", “s'imposer sur le marché de l'alternance."
Comment le Cned entend-il se positionner sur le marché de la formation professionnelle continue ?
Il faut d'abord rappeler que le Cned a toujours eu énormément d'adultes en formation. En 2011, nous avons ainsi déclaré au bilan pédagogique et financier 77 000 adultes inscrits en formation continue. Avec toutefois cette particularité que, pour l'instant, une grande partie de ces adultes est dans une logique d'autofinancement. Nous sommes légitimes sur le champ, mais peu connus d'un certain nombre de prescripteurs et de commanditaires. Aussi avons-nous une carte à jouer sur le marché de la formation prise en charge [ 2 ]Marché sur lequel le Cned a connu sa plus forte baisse, passant de 59 500 inscrits en 1999 à 13 000 en 2011., que ce soit dans le cadre du plan de formation des entreprises, du parcours d'insertion des demandeurs d'emploi ou des reconversions dans le cadre d'un Cif. Avec une offre de formation très large, de la remise à niveau jusqu'à des certifications professionnelles de niveau V à I, ou des formations plus courtes de professionnalisation, nous avons certainement un rôle à jouer plus important. Mais la FAD du Cned ne pourra s'implanter que si l'on apporte aux financeurs des garanties quant au suivi et à l'accompagnement des bénéficiaires.
Un autre objectif du projet d'établissement est de “s'imposer sur le marché de l'alternance", pouvez-vous préciser ?
Nous allons dans un premier temps cibler des formations certifiantes professionnelles de niveau IV et III, avec l'idée de mettre en place des ingénieries particulières qui permettent de proposer ces formations dans le cadre du contrat de professionnalisation. Nous allons présenter cette démarche à plusieurs Opca en phase de construction du dispositif et, là aussi, beaucoup de choses se joueront sur l'accompagnement. L'idée est de proposer une offre complémentaire qui favorise un lien régulier avec l'entreprise. Ces contrats de pro intégreront des temps de présence à des moments particuliers du parcours, ce sera plus encadré que dans une formation à distance classique. Il y aura une ingénierie de suivi avec des conseillers en alternance et une ingénierie spécifique sur les compétences acquises en entreprise. Il s'agit de s'assurer d'un bon suivi de cette alternance entre la partie Cned et la partie entreprise. Cela renvoie au réel impact des accompagnements spécifiques, tant sur la satisfaction, l'assiduité et la sécurisation du parcours de formation, que sur les compétences que cela développe par ailleurs.
Propos recueillis par N. D.
LA COUR DES COMPTES ÉPINGLE LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU CNED
Le rapport public annuel de la Cour des comptes, rendu public le 12 février dernier, pointe des dysfonctionnements dans la gestion du Cned. “Le modèle économique du Cned pose problème. Il n'est pas l'outil qu'il devrait être pour la formation en ligne, à la fois à distance et en présentiel", a commenté le premier président, Didier Migaud, lors de la présentation du rapport. Le manque de transparence financière, en raison d'un défaut de comptabilité analytique, est l'un des problèmes soulevés : pour cette raison, il n'est pas possible de distinguer les prestations commerciales des prestations de service public et, par voie de conséquence, de justifier le montant de la subvention pour charges de service public (de 25 millions en 2002 à 72 millions d'euros en 2011).
Le projet de contrat pluriannuel jugé “irréaliste"
L'érosion des inscrits, déjà constatée en 2005 par la Cour des comptes, n'a pas été freinée. Ainsi, en quinze ans, souligne-t-elle, le Cned a perdu la moitié de son public, passant de 400 000 à 200 000 (- 30 % entre 2003 et 2008). Une nouvelle tarification mise en place en 2009 et 2010 n'a pas endigué la chute, même si l'augmentation moyenne de 35 % du tarif a permis de stabiliser le chiffre d'affaires. Et la Cour juge “irréaliste" l'avant-projet de contrat pluriannuel et son objectif d'augmentation d'inscrits de 10 % en 2013 et de 30 % en 2014 et 2015.
Des ressources humaines “mal maîtrisées"
390 tonnes de papier en 2011 utilisées par le Cned, plus de 300 millions de pages expédiées… L'évolution vers le numérique et une gestion plus efficiente se font attendre. De plus, le Cned a assuré une mission d'accueil pour des personnels de l'Éducation nationale en situation difficile (1 187 en 2010) qui exécutent de façon jugée très inégale des tâches relevant de l'enseignement à distance.
Claire Padych
Recommandations de la Cour des comptes
Au ministère de l'Éducation nationale :
préciser le champ du service public et de la gratuité de l'enseignement à distance de façon cohérente avec les dispositions applicables au service public de l'enseignement scolaire ;
définir des objectifs et des modalités d'intégration de la formation en ligne dans l'enseignement scolaire et en tirer les conséquences dans le contrat pluriannuel ;
déterminer dans ce cadre le contenu des missions éventuellement assignées au Cned en matière de formation en ligne et les modalités correspondantes de coordination de l'établissement avec les autres opérateurs et les services déconcentrés de l'Éducation nationale ;
adapter les moyens en personnel du Cned aux missions ainsi définies.
Au Cned :
mettre en place, sans délai, une comptabilité analytique permettant d'identifier les coûts et de justifier la subvention pour charges de service public ;
redéfinir l'offre de formation prioritairement à partir d'une identification des besoins des usagers relevant du service public.
Notes
1. | ↑ | Ministère de l'Éducation nationale, alors dirigé par Luc Chatel. |
2. | ↑ | Marché sur lequel le Cned a connu sa plus forte baisse, passant de 59 500 inscrits en 1999 à 13 000 en 2011. |