Entretien avec Armelle Arnaud, directrice de l'Iptic (Institut de promotion des techniques de l'ingénierie et du conseil)
Par François Boltz - Le 01 juillet 2013.
“Vingt documents différents pour valider une action de formation, c'est trop !"
Vous estimez que les dispositifs actuels de formation constituent... un frein à la formation. Pouvez-vous expliquer ce paradoxe ?
La formation professionnelle est aujourd'hui − pour le moins − complexe : évolution constante de la réglementation, dispositifs pédagogiques croisés, démultiplication des interlocuteurs publics et privés… Il n'est pas aisé pour les futurs stagiaires non seulement de négocier avec leur entreprise leur action de formation, mais de s'y retrouver dans les offres de parcours et leur mode de financement.
Or, la réussite d'une action de formation passe par son accessibilité, tant au niveau des dispositifs pédagogiques que du point de vue
de sa prise en charge financière. Dans notre branche de l'ingénierie, du conseil et de l'informatique, les entreprises (80 % de moins de 20 salariés) éprouvent les plus grandes difficultés à s'y retrouver dans la jungle des démarches administratives et financières. Souvent, la complexité du mécanisme freine et décourage les bonnes volontés. Souvent aussi, les PME et TPE sont les plus touchées par les difficultés grandissantes engendrées par les systèmes. Elles capitulent devant la lourdeur réglementaire. Et pourtant, notre secteur est un des plus consommateurs de formation, tant les métiers de l'ingénierie évoluent.
Quelles solutions ?
Iptic se fait un devoir d'accompagner chaque stagiaire ou chaque entreprise dans ses démarches administratives – souvent longues et laborieuses –, auprès des Opca et des financeurs potentiels. Souvent, le centre de formation est médiateur entre le stagiaire et sa structure. Les atouts et les bénéfices du cursus choisi doivent être supérieurs aux désagréments causés par l'absence du salarié ! Une simplification des modes de financement de la formation permettrait de donner une meilleure visibilité aux entreprises bénéficiaires, qui oseraient enfin aborder sereinement la mise en place de plans de formation efficaces et effectifs...
En l'espèce, sur quoi faire porter cette simplification ?
Il n'y a pas moins de vingt documents différents pour valider une action de formation, l'entreprise comme le centre de formation croulent sous les obligations administratives.
La première simplification pourrait être documentaire, allant vers le zéro papier. La dématérialisation doit être une voie retenue.
La deuxième : la lisibilité de l'offre pour permettre à chacun de trouver son cursus.
La troisième ? L'accès plus rapide au financement. Votre carte bleue vous permet de payer instantanément, cela ne doit pas être plus difficile pour la prise en charge d'une formation !
L'entreprise doit attendre parfois deux mois voir plus pour avoir son accord de prise en charge. Plus de 3 000 dispositifs différents existent en France pour la prise en charge de formation. Suivant que vous appartenez à une catégorie particulière, ou un public ou un autre, votre financement se compose de budget émanant de financeurs divers.
Un guichet unique (pouvant être l'Opca) permettrait de croiser tous ces dispositifs pour identifier dans la journée la solution de financement retenue et son accord, car il y en a toujours une !
Enfin, il faut valoriser la démarche de formation comme appartenant au “capital immatériel de l'entreprise". À ce titre, la FFP (Fédération de la formation professionnelle) [ 1 ]Dont l'Iptic est membre. a mis au point
une grille d'indicateurs de reporting et d'évaluation des investissements en formation.
Cette approche aurait pour conséquence de donner de la valeur à la démarche du groupe (société) et de chacun (salarié) aux nécessaires évolutions de compétences.
Le cadre réglementaire n'est-il pas là pour réguler un marché de la formation... foisonnant ?
Précisément, une prise en compte de l'évolution des métiers et des modes d'apprentissage par les pouvoirs publics et paritaires irait dans le sens d'une plus grande performance des parcours et de leurs résultats en entreprise.
Nous voyons apparaître des solutions mixant l'échange par des forums, des formations dispensées par les marques, des groupements d'experts par filière… qui contournent la formation traditionnelle.
Si nous voulons défendre une formation indépendante, construite avec des objectifs pragmatiques et de qualité, nous devons réfléchir à la manière de rendre plus facilement accessibles les parcours de formation et leurs financements. Nous devons également, face aux modes d'apprentissage de la “génération Y", réinventer nos modèles pédagogiques. Et là, se pose le problème de la reconnaissance par les dispositifs de prise en charge comme le Cif ou d'autres, de ces nouvelles façons de construire une formation (e-learning, serious games, réseaux, etc.).
Qu'attendez-vous de la prochaine réforme de la formation ?
Dans notre secteur, des études montrent que dans cinq ans, un tiers de nos métiers seront à inventer ou à redéfinir, tant les évolutions technologiques et réglementaires nous obligent à nous adapter. Face à ce défi, la prochaine réforme doit, en dehors des aspects pragmatiques et techniques déjà évoqués, nous permettre la réactivité et l'innovation dans la démarche pédagogie que requiert ces enjeux.
Cet exercice est difficile, puisque nous devons mettre en place des systèmes dont nous ne connaissons pas aujourd'hui les objectifs et, donc, les contenus. Hier, former un ingénieur pour la filière de l'informatique ou de la construction ne posait pas de difficulté. Les référentiels, inchangés pendant vingt ans, correspondaient, autant que faire se peut, au marché. Aujourd'hui, le décalage se creuse entre la formation initiale et la réalité de l'entreprise. La formation continue pallie à cet écart, mais rencontre des résistances à sa validation.
Pour “accompagner la compétitivité de l'entreprise", comme le demandait le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg
dans son “discours de Bercy" [ 2 ]Le 18 février 2013, lors du colloque de la FFP “La formation professionnelle, un investissement majeur pour la compétitivité durable des entreprises et des territoires"., la formation professionnelle doit se doter d'un cadre juridique et technique qui la suit dans ce challenge.
Pensez-vous qu'elle aboutira à la simplification que vous souhaitez ?
Lors de la récente assemblée générale de la FFP, la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, Emmanuelle Wargon, nous a exprimé sa détermination à repenser ces évolutions avec “pragmatisme et efficacité". Je suis optimiste pour ma part, le monde économique et celui de la formation professionnelle sont matures aujourd'hui pour pousser dans le sens qui sera nécessaire à
sa réussite. Nous n'avons pas le choix. Cette reforme se fera nécessairement par paliers, au fur et à mesure des prises de conscience.
Le projet de “compte personnel de la formation" ira-t-il dans ce sens ?
L'individualisation peut, sous certaines conditions, favoriser l'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, ainsi que l'efficience et la qualité des services offerts.
À cette fin, l'existence, notamment, d'une offre de services lisible, accessible et concurrentielle est nécessaire. Il s'agit en outre d'être particulièrement attentifs au choix du public cible, ainsi qu'au degré d'incitation à l'utilisation des dispositifs et ce, en amont de leur mise en oeuvre.
Propos recueillis par François Boltz
L'IPTIC
“Au service des métiers de la prestation intellectuelle, en perpétuelle évolution technique, technologique et réglementaire" depuis bientôt trente ans, l'Institut de promotion des techniques de l'ingénierie
et du conseil (Iptic) est le centre de formation de la branche de l'ingénierie, du conseil et du numérique. Il a été créé par la CICF (désormais fédération Cinov) en 1985. Avec trois missions essentielles : une veille technique et réglementaire “permettant une anticipation des besoins en compétences", l'évaluation des besoins de formation et ingénierie pédagogique pour la branche, et une étude de “faisabilité et prospective" pour cette même branche.
Notes
1. | ↑ | Dont l'Iptic est membre. |
2. | ↑ | Le 18 février 2013, lors du colloque de la FFP “La formation professionnelle, un investissement majeur pour la compétitivité durable des entreprises et des territoires". |