Institut international Joseph-Jacotot : un “consensus" sur l'alternance est-il possible ?

Par - Le 01 janvier 2013.

Issues du monde médical où elles visent à arrêter une position commune sur des protocoles précis à un moment T de l'état de l'art de la recherche et des pratiques, la méthode des “conférences de consensus" est parfois adoptée par d'autres mondes professionnels. Reconnue pertinente dans le monde scientifique, car utile à la sécurisation des processus décisionnels des institutions et des politiques, la méthode n'est pas forcément d'un transfert aisé dans l'univers économique et social. C'est du moins ce qu'ont montré les échanges tenus le 6 décembre à Dijon [“La formation par alternance - Vers un renouvellement des questions et des propositions." Colloque de l'[Institut international Joseph-Jacotot, Dijon, 5 et 6 décembre 2012.[/footnote], à l'occasion d'une première présentation de préconisations pour l'alternance issues d'une conférence de consensus initiée en mai 2011 par l'Institut Joseph Jacotot.

Parmi les difficultés rencontrées, la première renvoie à ce que suggérait récemment le chercheur de l'Inetop Vincent Guillon au sujet de l'orientation : l'alternance n'est-elle pas, elle aussi, “un terme trop polysémique pour être unificateur" ? La seconde questionne la pertinence à vouloir créer du consensus autour d'un construit subjectif. Autrement dit, et comme se le demandait en conclusion des échanges Patrick Mayen, professeur à AgroSup Dijon et membre du comité de pilotage de la conférence de consensus : cette dernière “est-elle associable à un fait social global comme l'alternance ?" Poser la question est, certes, sans doute déjà y répondre, et peut-être faudrait-il nommer autrement ce qui s'est passé depuis dix-huit mois à l'Institut Joseph-Jacotot. Il n'était que d'entendre Paul Olry [ 1 ]Professeur à AgroSup Dijon. et Didier Michel [ 2 ]Inspecteur général de l'Éducation nationale., tous deux membres du comité de pilotage, se demandaient “comment s'évertuer à dire ce qui est bon tout en faisant l'éloge d'un système pluriel", puis alerter sur les risques d'appauvrissement à vouloir trop “projeter un idéal-type", pour deviner l'ampleur des contradictions auxquelles s'est trouvé confronté un groupe de travail pourtant chargé de “poser les conditions d'une bonne alternance" !

Être ou ne pas être (d'accord)

Mais s'il est apparu qu'il était difficilement envisageable, voire souhaitable, d'aboutir à une position univoque sur un tel objet, les travaux engagés par le comité de pilotage n'en répondaient pas moins à un légitime souci de penser l'alternance. Ceci, au moment même où elle apparaît convoquée à droite comme à gauche, pour répondre à des enjeux multiples allant de l'insertion des jeunes à la “fluidification" du marché du travail ou à la modernisation pédagogique. Peut-être le piège était il d'ailleurs dans cette profusion d'objectifs, à laquelle praticiens et chercheurs semblent parfois oublier qu'ils ne sont condamnés à souscrire que pour autant qu'ils y adhèrent… Et là où Patrick Mayen se demandait si le comité de pilotage avait suffisamment “pris le risque du désaccord", les participants au colloque n'ont, eux, pas hésité à se manifester lors de la mise au vote des onze “préconisations de la conférence de consensus aux acteurs de l'apprentissage". De l'avis général, les préconisations qui remportèrent le plus facilement l'adhésion ont peut-être aussi été celles qui contribuaient le moins à l'objectif initial d'aller “vers un renouvellement des questions et des propositions". Ainsi, par exemple, de la préconisation 2, qui estime qu'“une bonne alternance repose sur une visée d'emploi qui facilite ou conforte l'insertion durable", ce qui “suppose donc à la fois qu'elle développe les compétences « non-techniques » des apprenants et qu'elle assure la transférabilité dans de nouveaux contextes des compétences professionnelles acquises". Mais même dans le cas de cette proposition qui ne suscitait pas de désaccord majeur, un intervenant faisait remarquer qu'à la différence des consensus scientifiques qui outillent les décideurs pour l'action, la présente recommandation se fixait un objectif sans s'essayer le moins du monde à donner la recette pour y parvenir. Et c'est sans doute davantage cette absence de mode d'emploi que l'invitation à changer de paradigme qui freinait l'adhésion à certaines propositions. Préconiser par exemple que “l'alternance doit devenir un modèle global d'éducation et de formation professionnelle" demandait peut-être plus d'explications que la simple invitation à “installer une véritable gouvernance". Comme le faisait remarquer en substance Jean Besançon, directeur de l'Université ouverte des compétences, plus les préconisations se font générales, plus elles apparaissent positionnées entre posture idéologique et démarche utopique. Cela n'est certainement pas inutile au débat, mais probablement trop éloigné du guide pratique pour espérer diffuser largement au delà des sphères initiales.

Rebondissant sur une proposition radicale relative à la formation des professionnels qui emportait sans problème l'accord de l'assemblée, Jean Besançon pouvait préciser : “Pour être entendu, il faut dire des choses pointues et courtes, y compris radicales : les petits consensus mous ennuient…" C'est peut-être là tout l'enjeu pour l'équipe amenée à poursuivre les travaux : ne pas passer outre les points d'accord exprimés, ne pas négliger pour autant la prise de risque. Et parce qu'une conférence de consensus n'est pas destinée à alimenter la réflexion, reste, d'une part, à reformuler ce qui est apparu laisser libre cours aux interprétations multiples et, d'autre part, à épurer ce qui devrait normalement déboucher sur des actes.
Précision apportée par Guy Sapin, directeur du C2R Bourgogne, en début de séance : “Les membres du comité de pilotage ne parlent ni au nom de leurs institutions, ni en leur nom propre, (…) les préconisations appartiennent au groupe de travail", expression d'une “intelligence collective et partagée". Prochain remue-méninges en janvier, avant la publication des préconisations finales sous forme d'ouvrage courant 2013.

Notes   [ + ]

1. Professeur à AgroSup Dijon.
2. Inspecteur général de l'Éducation nationale.