La Bretagne expérimente le nouveau service public de l'orientation régional

Par - Le 01 novembre 2013.

Après plusieurs mois de préparation en coulisses, l'expérimentation d'un service public régional de
l'orientation (SPRO) destiné à remplacer l'actuel dispositif est enfin passée dans la lumière. Pilote de
cette expérimentation conduite dans huit Régions, la Bretagne a salué l'événement par l'organisation
d'un colloque, le 15 octobre à Saint-Brieuc (Côtes d'Armor), devant plus de 400 professionnels issus
de tous les réseaux partenaires.

Mal accueilli par nombre de
Régions et de professionnels de
l'orientation, le service public
d'orientation conçu par la loi
du 24 novembre 2009
devrait donc enfin connaître
un renouveau dans sa version
remaniée par l'acte III de décentralisation.
À charge pour les
huit Régions concernées d'expérimenter
d'ici à septembre
2014 la mise en oeuvre d'un
SPRO qu'elles devront “piloter,
coordonner et animer". Comme
elles ont rarement hésité à le faire
savoir depuis le vote de la loi, il ne
s'agit pas de partir de zéro, mais de
relancer et de fixer de nouveaux
objectifs aux complémentarités
déjà mises en oeuvre.

De la mise en réseau…

Ainsi de la Bretagne et de son
réseau territorial de 350 Maisons
de la formation professionnelle
(MFP), déployé à partir de 2006
dans le cadre d'une “politique
volontariste basée sur le partenariat
et la coordination des acteurs de
l'accueil, de l'information, orientation
et accompagnement (AIOA)",
comme l'a rappelé Georgette
Bréard, vice-présidente en charge
de l'orientation tout au long de la
vie et de l'apprentissage.

Intégré dès 2010 dans un
processus d'orientation tout au
long de la vie, le projet politique est renforcé
par le CPRDF voté en 2011, qui a vu la
Région et l'État s'engager à inscrire le réseau
des Maisons de la formation professionnelle
dans le service public de l'orientation.

L'impulsion suivante est arrivée en 2013,
avec “la mesure 20 du pacte de compétitivité
et la mesure I du plan Priorité jeunesse, qui
proposent de créer un nouveau service public
de l'orientation". Ceci, afin de “répondre aux
besoins d'accompagnement de chaque personne
dans un objectif de développement social et
économique des territoires", précise la vice-présidente
de la Région. CQFD : “Dans ce
contexte et dans la mesure où le projet de loi de
décentralisation présenté en conseil des ministres
le 10 avril dernier a défini le nouveau cadre
du SPO organisé régionalement, nous avons
répondu favorablement à la proposition
interministérielle d'expérimenter
la préfiguration du SPRO avec
sept autres Régions."

Citant la “charte de l'expérimentation"
comme “socle de référence
de l'engagement des acteurs",
Georgette Bréard en a énoncé les
“valeurs", à vrai dire peu éloignées
des textes d'application de la loi du
24 novembre 2009 : “Gratuité",
“universalité", “égalité", “proximité
d'accès", “neutralité", “objectivité"
et, enfin, “respect de la personne". Le
tout, couronné par les “principes"
fondateurs du réseau des Maisons
de la formation professionnelle :
“La valorisation dans un souci de
complémentarité et non d'opposition
du réseau et des structures partenaires,
détentrices de compétences
et de savoir-faire."

Quid de l'État dans cette refondation
? “Surtout, [lui] laisser la
définition de la politique d'information
et d'orientation des élèves et des
étudiants, ainsi que la politique d'accompagnement
vers l'emploi relevant
du service public de l'emploi", a
précisé l'élue.

… à l'offre de services

Alors que la Région Bretagne
dispose déjà d'un maillage territorial
conséquent, reste à travailler l'offre de service
en matière d'orientation. “Il faut se projeter, a
souligné Georgette Bréard, la mise en réseau
n'est pas suffisante, il faut aller beaucoup plus
loin : développer l'égalité d'accès aux services",
ainsi qu'“être en capacité de définir le contenu
et le niveau de service proposé par les différentes
structures", ce qui suppose de “travailler les transitions"
en gardant à l'esprit les “complémentarités
d'actions".

Interrogée en marge des rencontres, Laurence
Jouan, directrice adjointe de l'égalité et de la
formation tout au long de la vie en charge
des questions d'orientation et de formation,
a évoqué un SPO qui ne soit “ni de l'adéquationisme
ni de l'orientation hors-sol". Et
de préciser : “Ce qui est nouveau, c'est de se
diriger vers un SPO qui soit à la fois centré sur la
personne et inscrit dans un territoire."

Des contenus qui restent à préciser

Cette préoccupation, qui concerne
l'ensemble des expérimentations
régionales, interroge directement les
contenus du service à rendre. Autant dire
que pour les élus, il s'agit avant tout de
ne surtout pas reproduire ce qu'ils considèrent
comme l'erreur majeure du SPO
version 2009 : avoir défini les procédures
de mise en oeuvre avant d'avoir suffisamment
travaillé les contenus. Une tâche
que la vice-présidente voit difficilement
s'accomplir d'ici à la fin de l'expérimentation,
prévue pour septembre 2014 :
“La préfiguration ne permet pas d'apporter
des réponses toutes faites, un tel challenge
ne permet pas de s'exonérer de la problématisation,
de travailler sur les concepts,
les finalités, les principes et les frontières",
a-t-elle prévenu. Évoquant l'“intelligence
collective" à construire, Georgette Bréard
a conclu : “Avec notre passé et notre
habitude de travailler ensemble, nous
réussirons, mais cela prendra plus d'un
an."

L'ORIENTATION EN QUÊTE DE REFONDATION

Face au sentiment dominant que le flou
des objectifs n'a pas aidé à la mise en
oeuvre du service public de l'orientation,
l'expérimentation régionale qui vient de
débuter semble déterminée à prendre le
temps de la réflexion. La preuve avec les
véritables guest-stars du colloque organisé
par la Région Bretagne : Francis Danvers,
professeur des Universités en sciences
de l'éducation ; André Chauvet, conseiller
d'orientation psychologue de formation,
devenu consultant spécialiste des questions
d'orientation et d'accompagnement des
trajectoires professionnelles ; Even Loarer,
directeur de l'Inetop-Cnam [ 1 ]Institut national d'étude du travail
et d'orientation professionnelle.
. Trois des
plus éminents spécialistes français de
l'orientation, qui appellent à travailler les
complémentarités.

Un concept “inépuisable"

Invité à commenter des définitions de
l'orientation, Francis Danvers a prévenu :
au pays de Descartes, la passion de définir
a tout à voir avec le désir de maîtrise, mais
ceci n'est qu'illusion en matière d'orientation,
concept “inépuisable" qui renvoie
à “l'objet du désir, dimension fondamentale
de notre humanité". Et plutôt que de
figer cette “belle idée" dans un mot, lui
préfère “s'orienter dans la vie", titre de
son dernier ouvrage qui inscrit le concept
dans l'action. Revenant sur ce qu'il nomme
“l'illusion créatrice" de l'individu acteur,
le spécialiste de l'éducation a averti :
l'orientation ne repose pas exclusivement
sur les individus, “d'autant plus qu'ainsi
que l'a rappelé Georgette Bréard dans son
propos introductif, il y a une gouvernance
de la société sur ce sujet et que le pouvoir
politique a des choses à dire".

Un “travail risqué"

Citant la philosophe et députée italienne
Michela Marzano, André Chauvet a, lui,
associé le travail d'orientation à l'idée de
“confiance", cette “trace d'humanité [dont
le] résultat n'est jamais garanti". Confiance
dont ont justement besoin les acteurs pour
risquer, donc, de “passer d'une logique
d'addition à une logique de coopération, (...)
pour que l'ensemble soit plus que la somme
des parties".

Ainsi, le risque apparaît comme la solution,
y compris pour des usagers qui réclament
pourtant et surtout “des réponses relativement
garanties dans des temporalités
relativement brèves". Et obtiennent en retour
“plutôt de l'incertitude, de la complexité
et du risque". Lesquels ne naissent pas de
l'incompétence des accompagnants, mais
du “passage d'un monde relativement
prévisible et linéaire à un monde incertain et
discontinu dans lequel la planification de ce
que l'on imagine ne garantit absolument pas
le résultat". Conséquence pour la posture de
conseiller : la nécessité de travailler à l'émergence
de “perspectives d'évolution fondées et
éclairées" qui ne s'inscrivent pas en négation
des “aléas nécessairement arrivant tout au
long d'une vie professionnelle".

Naissance d'une “culture commune"

Dans sa contribution, Even Loarer est pour sa
part revenu sur l'analyse du “jeu d'acteurs" qu'il
a pu observer pendant deux ans à l'occasion de
la mise en oeuvre du service public de l'orientation
en Seine-et-Marne. Si la mise en commun
passe forcément par un temps de “crispation
identitaire" entraînant son lot de frilosités et
de méfiances, a-t-il expliqué, ce temps laisse
bientôt place au développement d'un “sentiment
d'appartenance à une identité commune". Non
pas un tout homogène mais un espace où les
points d'accord font office de ponts invitant à
dépasser “ses propres frontières". Par exemple,
“la finalité, qui vise à offrir la meilleure prestation
d'orientation au citoyen". Autre possible terrain
d'entente : “Les grands principes déontologiques
qui fondent le
conseil", comme les
règles de confidentialité,
l'indépendance,
l'impartialité, l'égalité
des chances, etc., a-t-il
rappelé. De même
pour “les registres de
pratique et les différentes
postures que
l'on peut adopter, (…)
avec la conscience
que ce que l'on ne fait
pas laisse la place à
d'autres acteurs". Soit
une découverte de
l'altérité qui “contribue
à ce sentiment de faire
partie d'un ensemble
plus large".

Également au coeur
des ambitions portées
par Georgette Bréard, cette notion de culture
commune restera sans doute comme le principal
message du colloque organisé par la Région
Bretagne. Et c'est peut-être aussi ce qui relie le
plus facilement les objectifs du SPO version loi
de 2009 et ceux de l'expérimentation régionale
version loi de décentralisation. Prêts pour la
co-gouvernance ?

1. Institut national d'étude du travail
et d'orientation professionnelle.

Notes   [ + ]

1. Institut national d'étude du travail
et d'orientation professionnelle.