La CNCP : un régulateur bridé par le manque de moyens ?

Par - Le 01 décembre 2013.

Créée par la loi de modernisation sociale de 2002, la Commission nationale de la certification
professionnelle a pour fonction historique la création et la maintenance du Répertoire national
des certifications professionnelles (RNCP). Si l'enjeu est de taille, l'institution connaît néanmoins
depuis 2008 des difficultés de fonctionnement.

Son président, George Asseraf, l'a
souligné dans le rapport d'activité
2012, en évoquant un
“contexte dégradé, notamment
par un manque patent de moyens
humains". Qu'en est-il aujourd'hui ?
S'il renvoie au prochain rapport
d'activité, qui sera remis au Premier
ministre dans le courant du premier
trimestre 2014, Paul Desaigues, fervent
défenseur de la CNCP dont
il est membre au titre de la CGT,
choisit de répondre sans ambages :
“Rien n'a changé depuis 2012, faute
de moyens", regrette-t-il. Ceci alors
qu'“avec la réforme de 2009, la CNCP
aurait dû prendre une dimension plus
importante en termes de régulation des
certifications".

Des exemples, Paul Desaigues en
donne à foison. Sur le champ des
CQP : renforcer l'analyse de l'existant
de façon à éviter les doublons par la
suggestion de suppressions ou de créa-
Créée par la loi de modernisation sociale de 2002, la Commission nationale de la certification
professionnelle a pour fonction historique la création et la maintenance du Répertoire national
des certifications professionnelles (RNCP). Si l'enjeu est de taille, l'institution connaît néanmoins
depuis 2008 des difficultés de fonctionnement.
tions de CQP interprofessionnels ; sur
le champ de l'inventaire : référencer
les titres qui ne sont pas des certifications
professionnelles mais qui permettent
de travailler, comme les Caces
ou les habilitations ; dans le domaine
de l'enseignement supérieur : combattre
la prolifération des certifications
apparue avec la loi sur l'autonomie
des Universités. Autant de chantiers
d'importance qui justifient selon lui
un renfort conséquent des moyens de
la CNCP.

Nouvelle nomenclature en projet

Pragmatique, la rapporteure générale
de la CNCP, Brigitte Bouquet, se réjouit
de la permission donnée en 2013
de créer un “fonds de concours" pour
pouvoir financer un certain nombre
d'actions. “L'État ne nous donne pas
plus d'argent mais il nous donne la
possibilité d'aller mendier", plaisantet-
elle à moitié : “C'est un grand progrès.
Avant, même si nous trouvions
de l'argent, nous étions incapables de
le mettre sur un quelconque compte",
explique-t-elle. Au premier rang des
missions qui devraient bénéficier de
cet “élargissement", l'inventaire, fortement
attendu par Paul Desaigues et
que Brigitte Bouquet envisage désormais
de pouvoir présenter au grand
public dès 2014.

Autre chantier retardé par le manque
de moyens : l'élaboration d'une nouvelle
nomenclature des niveaux de
formation, dont l'ambition est, selon
George Asseraf, d'aboutir à un classement
plus adapté “aux usages actuels et
plus facilement lisible à travers le cadre
européen des certifications". Un sujet
sur lequel Paul Desaigues se montre
plus que prudent. Si la nomenclature
de 1969 sert de “colonne vertébrale à la
structure du RNCP", elle est aussi et par
conséquent, souligne-t-il, “la référence
de nombreuses conventions collectives, et
le complément indispensable du Rome
[Répertoire opérationnel des métiers
et des emplois] pour la connaissance
des certifications nécessaires à l'exercice
de tel ou tel emploi". Rappelant pour
sa part l'agenda plus que chargé des
partenaires sociaux, Brigitte Bouquet
plaide pour une extension du calendrier
: “Pas la peine de leur mettre le
couteau sous la gorge pour une nomenclature
appelée à durer", tempère-t-elle.

Le “problème de file d'attente"

Moyens insuffisants ou pas, les enjeux
ne manqueront pas pour 2014. Parmiceux-
ci, George Asseraf souligne le
maintien des exigences de la procédure
de la CNCP pour l'examen des
demandes d'enregistrement au RNCP.
Laquelle constitue, rappelle-t-il, “un
processus d'assurance qualité s'appuyant
sur une évaluation a posteriori de la
performance en termes d'insertion de
la certification professionnelle", menée
auprès “d'au moins trois promotions
titulaires de la certification". Ici se
trouve directement posée la question
des effectifs de la CNCP. Si Brigitte
Bouquet évoque une “stabilisation de
l'hémorragie", demeure cependant le
“problème de file d'attente [ 1 ]Toujours de l'ordre des 7,7 mois annoncés en
2012, le délai de traitement moyen ne parvient pas
à baisser.
qui est extrêmement
important pour l'instruction des
certifications, ainsi que le problème de la
capacité d'absorption de la commission
spécialisée et de la commission plénière".

“D'une approche académique
vers une approche
compétences"


Outil de mise en cohérence de l'offre
de formation au marché de l'emploi,
les travaux de la CNCP se doivent
de veiller à l'adaptation des titres et
diplômes “à l'évolution des qualifications
et de l'organisation du travail". Ici
encore, Brigitte Bouquet reconnaît que
les moyens manquent pour assurer cette
mission au-delà de quelques études
ponctuelles, comme le rapport réalisé
par George Asseraf et Jean-Robert Pitte
sur les “compétences vertes". Enfin, et
ainsi que le souligne George Asseraf,
l'actualisation permanente et l'amélioration
de la qualité et de la lisibilité du
RNCP constituent un enjeu contenu
dans la finalité même de l'outil : “Les
fiches RNCP sont portées par une logique
de finalité des apprentissages et constituent
une partie émergée d'une évolution
en profondeur dans la construction
des certifications professionnelles, d'une
approche académique vers une approche
compétences."

Jugeant le dispositif indispensable à la
“transférabilité" et à la “transversabilité"
des compétences, Paul Desaigues souligne
les attentes fortes qui pèsent sur la
CNCP alors que le futur compte personnel
de formation ne pourra qu'accroître
les besoins d'information : “Si
l'on veut vraiment permettre aux individus
d'engager un certain nombre d'actions
de formation pour monter en qualification,
il convient d'épurer la prolifération
des certifications qui sont identiques mais
qui ne le disent pas." Et d'insister : “Tout
le monde parle de simplification mais
pour que la CNCP puisse jouer un rôle, il
faut lui en donner les moyens."

“Articuler" au mieux

Suite au départ de Pascal Charvet,
George Asseraf est également directeur
de l'Onisep depuis mai 2013. Aux dires
de l'intéressé, l'articulation des deux
missions “est avant tout une question
d'organisation" et de “très grande compétence"
de l'entourage. De fait, l'équipe
de la CNCP a récemment été renforcée
avec le recrutement d'un secrétaire
général en la personne de Jean-Jacques
Giannesini, ancien membre de l'équipe
du délégué à l'information et à l'orientation
Jean-Robert Pitte.

Au-delà de la charge de travail, la
double casquette de George Asseraf
modifie aussi la donne en
matière de référencement des
certifications. Président de
la CNCP, il pilote la base de
données réglementaire avec le
RNCP ; directeur de l'Onisep,
il conduit l'organisme qui joue
le rôle de prestataire pour le
développement et la mise à jour
de Certif Info, la base de données
documentaires des Carif-
Oref. Signataire en 2008 d'une
convention de partenariat avec
le Pôle Rhône-Alpes de l'orientation
(Prao) pour l'échange
réciproque de données entre le
RNCP et Certif Info, signataire
en mars 2013 d'une convention
actualisée entre la CNCP, les
Carif-Oref et l'Onisep alors dirigé
par Pascal Charvet, George
Asseraf devrait signer deux fois
la prochaine convention...
Il le souligne lui-même : “La
CNCP a des partenariats avec l'Onisep,
Centre Inffo et les Carif-Oref, ma nomination
à la direction de l'Onisep n'est pas
de nature à les remettre en cause. Je travaille
et nous travaillons les uns les autres
à la réalisation d'une offre de services la
meilleure possible pour tous les usagers,
en articulant au mieux nos moyens et nos
initiatives dans le respect de nos compétences
respectives".

“Laisser ouverts les accès"

Quand est-il pertinent pour l'usager
d'aller sur Certif Info et quand doit-il
aller sur le RNCP ? Là encore, George
Asseraf veut croire aux complémentarités.
Évoquant une “offre d'information
multiple et complexe dans le champ de la
formation", il se refuse cependant à appeler
à “réduire les sources d'informations
pour régler la question : je ne suis pas sûr
qu'une seule source d'informations réponde
aux exigences du moment", répond-il. Et
d'appeler plutôt à “laisser ouverts les accès
pour les usagers, car chaque site construit sa
spécificité, et notamment des cheminements,
pour accéder aux informations qui lui sont
propres. Il convient cependant, lorsque cela
s'y prête, de favoriser via un ou des portails
l'accès à de nombreuses données produites
par des acteurs différents et, dans ce cas, de
veiller à l'intégrité de celles-ci tant dans leur
contenu que dans leur origine", conclut-il.

FONCTIONNEMENT DE LA CNCP

Au-delà du secrétariat national qui regroupe président, rapporteurs et chargés de mission
qui préparent l'instruction des dossiers, la CNCP est organisée autour d'une “commission
plénière" et d'une “commission spécialisée".

La première, qui joue le rôle de l'instance politique, comprend 17 représentants de l'État,
10 représentants des partenaires sociaux, 3 des chambres consulaires, 3 des Régions et
11 personnalités qualifiées. Il leur revient, d'une part, de donner leur accord à partir de
l'avis de la commission spécialisée pour les enregistrements sur demande ; d'autre part,
de statuer sur les “avis d'opportunité" relatifs aux enregistrements de droit instruits par le
secrétariat national et qui concernent les deux tiers du RNCP.

Aux attributions plus techniques, la “commission spécialisée" compte, elle, une vingtaine
de membres, pour moitié composée de représentants des ministères certificateurs et pour
moitié de représentants des partenaires sociaux. Ce sont eux qui préparent les travaux de
la commission plénière.

S'ajoutent les correspondants régionaux, chargés d'instruire les certifications créées
en région et de les faire remonter pour avis au CCREFP, avant passage en commission.
Quelque 8 750 certifications et 250 CQP sont aujourd'hui liés au RNCP.

Notes   [ + ]

1. Toujours de l'ordre des 7,7 mois annoncés en
2012, le délai de traitement moyen ne parvient pas
à baisser.