Le conseil de l'Ordre des avocats de Paris entend limiter l'accès à la profession

Par - Le 01 décembre 2013.

“On ne peut pas continuer à
laisser entrer 2 000 avocats chaque
année sans se poser la question
de leur avenir ! Soit on repense
le processus de sélection, soit on
élargit le périmètre d'intervention
de l'avocat français." Tel est le “cri
d'alerte" lancé le 19 novembre par
le bâtonnier de l'Ordre des avocats
de Paris, Christiane Féral-Schuhl, à
l'occasion de la remise du rapport
sur la réforme de l'accès initial à la
profession, qu'elle avait commandé
en août 2012.

Un marché saturé

Si la question de la maîtrise des
effectifs n'est pas nouvelle – le
nombre d'inscrits aux Instituts
d'études judiciaires (IÉJ) des
Universités parisiennes est passé
de 2 500 à 5 500 en dix ans –
elle peine à trouver sa solution.
“La filière droit a dépassé les
200 000 étudiants en 2012-2013,
dont 80 % veulent devenir avocat",
estime le bâtonnier. “Si rien n'est
fait, il y aura 35 000 avocats au
barreau de Paris d'ici à 2020, soit
7 à 8 000 de plus qu'aujourd'hui",
projette Kami Haeri, auteur du
rapport. Problème soulevé par le
conseil de l'Ordre, l'entrée dans la
profession est in fine contrôlé par
les IÉJ, donc par les Universités,
lesquelles ne prêteraient qu'une
attention relative à la question de
l'insertion de leurs promotions.
Pour les nouveaux entrants, la
rançon de l'attractivité est lourde.
Non seulement leur formation
initiale se trouverait dégradée
avec une École de formation professionnelle
des barreaux de la cour
d'appel de Paris (EFB) qui peine à
accueillir des promotions toujours
plus chargées, mais leur entrée dans
la profession s'en trouve également
compromise. Au-delà de la baisse
des rémunérations [ 1 ]Environ 6 000 avocats parisiens
auraient des revenus annuels inférieurs
à 17 500 euros.
démontrée
par le rapport Haeri, les jeunes
avocats sont de plus nombreux
à se lancer seuls faute de “collaboration"
[ 2 ]Il est d'usage de commencer sa
carrière d'avocat en tant que
collaborateur d'un cabinet d'avocats.
étape pourtant jugée
“indispensable" à la formation
des jeunes avocats par Christiane
Féral-Schuhl. Autre indice d'une
insertion professionnelle difficile,
un fort taux d'abandon, avec pas
moins de 30 % des entrants (40 %
chez les femmes) qui quittent la
profession dans les dix années
qui suivent, précise-t-elle. Au-delà
des éventuelles déceptions financières,
apparaissent comme motif
principal la découverte tardive
d'une erreur d'orientation ou une
spécialisation dictée par le marché
dans un domaine qui ne satisfait
pas l'intéressé. D'où l'annonce par
le bâtonnier de la création d'un
“observatoire de la collaboration",
chargé de donner une idée de l'état
du marché, semble-t-il assez mal
connu à ce jour. Loin d'échapper
au phénomène des besoins non
pourvus, les jeunes avocats
auraient ainsi eux aussi besoin de
mieux connaître les domaines (droit
social, droit fiscal, droit public) et
métiers (avocat correspondant
“informatique et libertés", avocat
mandataire sportif, etc.) porteurs.

Sept propositions
de réforme


Uniquement centré sur la voie
d'accès par la formation initiale,
le rapport produit par Kami Haeri
formule sept propositions qui
visent à faire du barreau de Paris
et des barreaux de province des
acteurs majeurs d'un processus
de sélection considérablement
renforcé. Soulignant que l'entrée
dans la profession est contrôlée par
les Universités via l'organisation de
l'examen d'entrée dans les Centres
régionaux de formation professionnelle
des avocats (CRFPA), le
rapport suggère tout d'abord de
créer un examen national dont
l'organisation serait transférée
aux barreaux, “avec le concours
pédagogique des Universités".
Sans jamais parler de numerus
clausus – Christiane Féral-Schuhl
rappelle que l'accès aux CRFPA est
régulé par un examen et non par un
concours – les autres propositions
visent à renforcer et à rationaliser
la sélection des futurs avocats :
réduction de trois à deux le
nombre de possibilités de présentation
à l'examen ; suppression des
épreuves de spécialisation lors des
phases d'admissibilité et d'admission
afin que les épreuves principales
retrouvent leur caractère fondamental
; fixation d'une moyenne
générale à 12/20 pour la phase
d'admission et instauration d'une
note éliminatoire au “grand oral".

Vers un référentiel
de l'avocat européen ?


Si les solutions du rapport Haeri
se concentrent sur une réforme
du processus de sélection des
candidats, une autre solution,
venue d'Europe et complémentaire,
pourrait venir soulager l'engorgement
de la profession. Soulignant
la montée en puissance des
avocats exerçant simultanément
dans deux pays européens, le
bâtonnier de l'Ordre des avocats
de Paris rappelle que les avocats
allemands peuvent, eux, intervenir
en entreprise et se faire notaires...
CQFD : en élargissant le périmètre
d'intervention de l'avocat français,
on crée de nouveaux marchés
capables d'intégrer davantage
d'entrants. Déjà que la question
d'un plus grand partage de la
sélection des candidats entre
les Universités et la profession
apparaît délicate à régler, il s'agirait
donc cette fois d'une réforme de
l'ensemble de la filière droit. Et
même si, comme le fait remarquer
Christiane Féral-Schuhl, il est peu
probable qu'un éventuel modèle
de l'avocat européen s'aligne sur
le modèle français, plus restrictif,
il est tout aussi peu sûr que les
conseils juridiques en entreprise
et les notaires accueillent chaleureusement
la perspective d'une
concurrence sur leur propre champ
de compétences.

Alors qu'un autre rapport [ 3 ]Rapport Bédry. sur
la question, commandé par la
Chancellerie au Conseil national
des barreaux fera l'objet d'un vote
le 15 janvier prochain, Christiane
Féral-Schuhl avertit : “Quelle que
soit la décision, il faut choisir : on
ne peut pas continuer à fermer
la porte des deux côtés, dire non
à la sélection et non à l'avocat
d'entreprise."

Notes   [ + ]

1. Environ 6 000 avocats parisiens
auraient des revenus annuels inférieurs
à 17 500 euros.
2. Il est d'usage de commencer sa
carrière d'avocat en tant que
collaborateur d'un cabinet d'avocats.
3. Rapport Bédry.