Les fous du vélo !
Par Nicolas Deguerry - Le 16 octobre 2013.
Partagé entre les vélocistes et les grandes enseignes multisports, le marché de la formation aux métiers
du vélo est un véritable terrain d'affrontement pour les certifications. Explications.
Vélos de course, vélos électriques,
vélos de ville, vélos pliants, VTT,
VTC, BMX, fixies, randonneurs
et autres porteurs, il y en avait
vraiment pour tous les goûts au
salon du cycle de Paris [ 1 ]13 au 16 septembre 2013, Paris.. 450 marques
réparties sur 22 000 m² à espérer rafler
une part des quelque 800 millions
d'euros générés par la vente de cycles en
2012. Loin de s'y perdre, le public semblait
découvrir avec gourmandise les
dernières nouveautés d'un marché de
plus en plus pointu qui prend le risque
de dérouter le néophyte. Car s'il fut
un temps où l'on pouvait aborder un
vendeur pour acquérir un “vélo" sans
déclencher un sourire mêlant la gêne
à la compassion, ce temps n'est plus…
Seriez-vous suffisamment sûr de vous
pour savoir qu'il vous faut un VTT et
non pas un randonneur, que vous ne
seriez pas tiré d'affaire pour autant :
– On en a. Mais pour faire quoi ? All-
Mountain ? Cross Country ? Enduro ?
Trailbike ? Sport ? Downhill ? Freeride ?
Dirt ?
– Ben, pour faire du vélo… euh,
non, un peu de tout, comme…
All-Mountain ?
– En 26 pouces, 27,5 ou 29 ?
– Euh, en fait, je dois vous dire, le
CQP2 d'acheteur, je l'ai pas !
Un marché de la formation toujours complexe
Las, à l'image du marché, le milieu
de la formation n'est pas non plus des
plus simples. Le Centre national professionnel
des commerces de sport
(CNPC), premier centre de formation
abordé lors de notre visite, nous
l'assure : “Notre CQP [ 2 ]Certificat de qualification professionnelle. de vendeur technicien
cycle est obligatoire et nous en
sommes l'unique détenteur. Sup' de Vélo
[ndlr : un concurrent] le propose, mais
est obligé de passer par nous pour la validation."
Surprise, le second organisme
visité, l'Institut national du cycle et du
motocycle (INCM), nous présente un
autre CQP, tout aussi obligatoire et
créé en 1995 lorsque l'État a retiré la
partie cycle du CAP “Cycles et motocycles".
À ce stade et pour bien comprendre,
il faut garder à l'esprit que le
CNPC est adossé à la Fédération professionnelle
des entreprises du sport et
des loisirs (FPS) et que l'INCM est, lui,
adhérent de la Fédération nationale du
commerce et de la réparation du cycle
et du motocycle (FNCRM). Alors que
la FPS reçoit l'adhésion des enseignes
multisports, la FNCRM héberge, elle,
exclusivement, les commerces de cycles,
indépendants ou franchisés.
Quand le Conseil d'État s'en mêle…
Chacun s'estimant légitime pour former
les futurs professionnels de la vente
et maintenance de cycles, la bataille de
légitimité autour de la certification que
nous décrivions à l'occasion du salon
du cycle 2011 (voir L'Inffo n° 797)
ne semble jamais devoir s'épuiser.
Trouvera-t-elle un jour son épilogue ?
La Une du numéro de septembre 2013
de Pro Mouvoir 2-Roues, magazine de
la FNCRM, le laisse à penser : barrée
d'un triomphant “Convention collective
cycle : le Conseil d'État confirme",
la revue porte-parole souligne que par
sa décision, la juridiction administrative
réaffirme que “seule la convention
collective de l'automobile, du cycle et du
motocycle du 15 janvier 1981 a vocation
à couvrir le secteur du commerce et de la
réparation des cycles". L'enjeu n'est pas
tant de priver la FPS de ses CQP – les
enseignes multisports continueront
à relever de la convention “Articles de
sports" à laquelle sont rattachés les CQP
du CNPC – que de ramener dans le giron
de l'Anfa les magasins de cycles qui
appliquaient la convention collective
nationale du commerce des articles de
sport et équipements de loisirs. Ainsi, si
la décision du Conseil d'État clarifie le
périmètre des conventions collectives,
elle n'en pérennise pas moins la complexité
d'un système de formation à
double entrée. Pas forcément très lisible
en termes d'orientation pour les futurs
professionnels, qui pourront toujours
se consoler d'une maxime : “Se former
aux métiers du vélo, c'est comme passer
les vitesses, pas si compliqué tant qu'on n'y
réfléchit pas !"
À quoi préparent l'INCM et le CNPC Sport ?
Si les grandes enseignes multisports [ 3 ]Décathlon, Go Sport, etc.
représentent la manne du CNPC Sport,
l'INCM bénéficie, lui, de la clientèle des
indépendants et des franchises ayant le
vélo pour seule activité [ 4 ]Bouticycle, Culture Vélo, Véloland, etc.. Les flottes de
vélos publiques ou privées bénéficient,
elles, à l'ensemble des acteurs, sous
forme d'“effets d'aubaine", selon l'expression
de Philippe Parmentier, adjoint de
direction de l'INCM, comme lorsqu'il
a fallu former le personnel chargé de
l'entretien des Vélib' [ 5 ]Dispositif de location de vélos en libre-service de
la ville de Paris.. Autre source de
débouchés en vogue pointée par Étienne
Coqueblin, responsable du CNPC
Sport Paris, l'“atelier roulant", expression
qui désigne aussi bien des services
de montage et/ou de maintenance mobile
(déplacement chez les particuliers,
installations éphémères sur des emplacements
spéciaux de type marché…),
que sédentaires. Dans ce dernier cas,
Étienne Coqueblin souligne l'impact
d'internet, à l'origine du développement
de constructeurs distributeurs en ligne,
associés à des ateliers de montage ayant
pignon sur rue.
S'agissant de l'offre de formation obligatoire
pour l'ouverture d'un magasin de
cycles, l'INCM propose deux CQP, l'un
de niveau V (mécanicien cycles) ouvert
en 2006, l'autre de niveau IV (conseiller
technicien cycles) créé en 1995. Pour
les demandeurs d'emploi, une préparation
opérationnelle à l'emploi collective
(POEC) est proposée depuis 2012 pour
obtenir le CQP mécanicien cycles en
400 heures. Des formations modulaires
de perfectionnement d'un à deux jours
sont également proposées en formation
continue. À noter que trois autres organismes
de formation indépendants de
l'INCM (Le Bourget, 93) préparent aux
titres de branche : IFA (Saint-Malo, 35),
SEPR (Lyon, 69) et CFA CM (Saint-
Benoît, 86).
Créé en 1981 par la CCI de Pau-Béarn,
le CNPC Sport est la plus importante
école de commerce du sport en
Europe. Aux sites historiques de Pau
(siège), Grenoble et Paris (antennes),
s'ajoutent aujourd'hui quatre franchises
: Quimper, Mulhouse, Orléans,
Saint-Pierre (la Réunion). Positionné
sur tous les métiers de la commercialisation
d'articles de sports et de loisirs
avec des formations de niveau IV à I,
le CNPC Sport propose un CQP de
niveau V “vendeur technicien cycle"
et un CQP “vendeur conseiller sport"
spécialisé [ 6 ]Également proposé en mention “multi-sports" ou
“spécialisé textile". de niveau IV. Des formations
modulaires d'une journée à une
semaine sont également proposées.
L'alternance, voie royale
Côté débouchés, les deux filières assurent
frôler les 100 % de taux d'insertion.
Ceci, notamment en raison d'un
modèle qui intègre essentiellement par
l'alternance et qui choisit de former
pour embaucher : entré en formation
nanti d'un contrat d'apprentissage ou
de professionnalisation, vous êtes quasi
assuré de le convertir en CDI une fois
diplômé. Non pas que le secteur échappe
totalement à la crise mais qu'il se régule
plutôt par la taille des promotions. Avec,
semble-t-il, des différences entre les deux
voies : là où Étienne Coqueblin, coordinateur
de formation et responsable de
l'antenne parisienne du CNPC Sport,
affirme que la demande des entreprises
lui permettrait de monter deux ou trois
sessions annuelles de plus si des candidats
se manifestaient, Philippe Parmentier,
adjoint de direction à l'INCM, concède,
de son côté, avoir réduit l'effectif de ses
promotions de près de 20 % faute de
contrats d'alternance. Si cette différence
peut s'expliquer par une exposition plus
grande à la crise des purs vélocistes que
des enseignes multisports, l'autre source
de distinction est plus étonnante : quand
Philippe Parmentier vante la motivation
de ses effectifs et assure n'avoir aucun
problème de profil, Étienne Coqueblin
souligne, pour sa part, sa difficulté à
trouver en nombre des candidats “travailleurs
et bien élevés", exigence première
des employeurs, selon lui.
Quant à savoir quoi vendre, une enquête
réalisée pour le compte de la
commission cycle du CNPC Tous à
vélo ! (voir encadré) et de la FPS, suggère
de s'intéresser de près aux produits
de niche liés à l'éco-transport : + 15 %
au premier semestre 2013 pour les vélos
à assistance électrique (VAE), + 25 %
pour les pliants. Soit et dans les deux
cas, des innovations entraînant de réels
besoins de formation.
“CNPC Sport" vs “CNPC Tous à vélo !"
Mon premier est un organisme de formation, mon second est un syndicat professionnel,
mon tout est un pied de nez à la lisibilité du système. Je suis… le CNPC ! Mais pourquoi
diable la CCI de Pau s'est-elle empressée d'intituler sa création Centre national professionnel
des commerces de sport (CNPC) quand il existait déjà un Conseil national des
professions du cycle (CNPC) ? Visiblement empreint d'une valeur intrinsèque indépassable,
un même sigle désigne ainsi deux organisations totalement différentes. La solution pour
s'y retrouver ? Adjoindre le mot “sport" au sigle qui désigne l'organisme de formation
et le slogan “Tous à vélo !" à celui du syndicat. À noter que ce dernier a le grand mérite
de réunir en son sein les deux grands pourvoyeurs de certifications, le CNPC Sport et la
FNCRM. Compris ?
Notes
1. | ↑ | 13 au 16 septembre 2013, Paris. |
2. | ↑ | Certificat de qualification professionnelle |
3. | ↑ | Décathlon, Go Sport, etc. |
4. | ↑ | Bouticycle, Culture Vélo, Véloland, etc. |
5. | ↑ | Dispositif de location de vélos en libre-service de la ville de Paris. |
6. | ↑ | Également proposé en mention “multi-sports" ou “spécialisé textile". |