Pierre Ferracci : en entreprise, “deux philosophies s'affrontent en ce moment..."
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 avril 2013.
De l'Ani signé en janvier à la négociation annoncée d'ici à la fin de l'année, en passant par l'acte III de la décentralisation, le départ de Thierry Repentin et les bouleversements de leadership chez les partenaires sociaux, 2013, qui s'annonçait riche pour la formation professionnelle, tient pour le moment ses promesses. Pierre Ferracci, président du groupe Alpha et analyste du paysage social, développe ses perspectives pour L'Inffo.
Le 29 mars dernier, tombait le verdict du Haut Conseil du dialogue social concernant la légitimité syndicale des cinq centrales représentatives… qui le demeurent donc, y compris la CFTC, jugée jusqu'alors sérieusement en danger quant à son poids dans les négociations. Quelques jours auparavant, Pierre Ferracci exprimait quelques inquiétudes quant aux conséquences du départ de la centrale chrétienne de la table des discussions entre patronat et syndicats. “La valeur et la force d'un accord tiennent au nombre des organisations signataires et des salariés qu'elles représentent", estimait-il alors. Une manière de souligner la faiblesse de l'Ani du 11 janvier 2013, paraphé par les seules CFDT, CFTC et CFE-CGC : “Un accord déséquilibré, qui n'a pas su mettre en
œuvre un véritable modèle « flexisécuritaire » et qui, en outre, a vu les syndicats de salariés scindés en deux blocs aux termes des négociations." Situation qui, à ses yeux, augure mal les futures discussions qu'ils seront amenés à entamer sur la réforme de la formation annoncée par François Hollande. “La négociation à venir va être l'occasion pour l'État de clarifier ses positions et de remettre FO et la CGT dans le jeu des débats. Vont-ils cependant vouloir s'impliquer, après la déception consécutive à l'Ani de janvier ? Là est la question..."
Quid des futures orientations du Medef ?
Mais si, d'un côté de la table des négociations, les représentants des salariés risquent d'apparaître divisés, Pierre Ferracci déconseille à leurs vis-à-vis patronaux de crier victoire trop vite. “Au vu de l'intensité de la bataille pour la succession de Laurence Parisot au Medef, les représentants du patronat seraient bien inspirés de ne pas gloser sur une trop grande division syndicale." Et s'il ne souhaite pas se lancer dans des pronostics hasardeux sur le nom de celui qui s'installera pour les cinq prochaines années au dernier étage du 55, avenue Bosquet, le président du groupe Alpha n'en prédit pas moins que “son élection risque d'être sportive". Quant à l'attitude du syndicat patronal dans de futures négociations sociales, elle pourrait dépendre de l'identité du vainqueur, car “il existe, au Medef, une ligne de fracture entre des patrons enclins à développer la démocratie sociale et ceux qui se positionnent sur une ligne plus conservatrice. Or, ces deux philosophies s'affrontent en ce moment".
Un compte personnel de formation encore à construire
Autant de paramètres vecteurs d'incertitudes dont l'État devra tenir compte pour la prochaine discussion, dont une partie sera consacrée, justement, à la définition technique des dispositifs formation contenus dans l'accord de janvier, notamment le compte de formation sur lequel le CNFPTLV a rendu son rapport le 18 mars dernier. “Nous avons toujours le compte, mais nous n'avons plus de ministre !", ironise Pierre Ferracci, définissant cet outil comme “une idée généreuse dont l'opérationnalité reste à construire" et dans lequel le Dif pourrait se fondre. Sans regrets, d'ailleurs, tant “dix ans après son instauration, le Dif n'a ni séduit les salariés ni touché ceux qu'il était censé concerner en premier lieu, c'est-à-dire ceux dont le niveau de formation initiale est le plus faible". Mais si le CPF peut constituer une alternative aux dispositifs individuels existant jusqu'alors, un consensus autour de son financement demeure à élaborer, “car, d'ores et déjà, une organisation patronale comme la CGPME a pris ses distances".
“Une réforme dans laquelle les pouvoirs publics se lancent les yeux fermés…"
Sans oublier que, dans le cadre d'une décentralisation accrue, les discussions ne sauraient négliger les Régions, en première ligne sur les questions de formation, notamment sur l'articulation entre le CPF, le conseil en évolution professionnelle et la GPEC territoriale. “À ce titre, on peut déplorer que le sujet de l'indemnisation des demandeurs d'emploi en situation de mobilité professionnelle n'ait été qu'effleuré pendant la négociation, et celle qui va s'ouvrir en fin d'année s'annonce difficile. Par ailleurs, la question de l'efficacité de Pôle emploi dans la gestion des transitions et des moyens qui lui sont alloués pour faire face à la déferlante actuelle des demandeurs d'emploi est essentielle dans le débat sur la sécurisation de l'emploi", souligne Pierre Ferracci, qui aurait préféré voir les pouvoirs publics “prendre davantage de temps à réfléchir à la réforme ainsi qu'à ses conditions de mise en œuvre, en établissant des diagnostics préalables", plutôt que “de s'y lancer les yeux fermés". Et si le président du groupe Alpha estime que le retour des attributions de Thierry Repentin dans le giron de Michel Sapin peut être de nature à établir de meilleures articulations entre formation et emploi, il n'en avertit pas moins des risques d'une réforme qui s'élaborerait dans l'urgence, “au risque de provoquer autant de déceptions qu'en 2009".