“Zéro hasard !"

Par - Le 16 février 2014.

Sauf à mettre un contrôleur derrière chacun des
20 000 entreprises et organismes de formation
de la région Rhône-Alpes, mieux vaut soigner sa
stratégie. Celle du service régional de contrôle de
la formation professionnelle tient en deux mots :
ciblage et discrétion.

“Il neige, il neige !"… Si ce n'était sa bonne
volonté à nous fixer un nouveau rendez-vous,
nous aurions pu suspecter Isabelle Coussot
d'avoir accueilli avec malice l'épaisse couche de
poudreuse à l'origine de l'annulation de notre
première rencontre. Particulièrement soucieuse
que le dossier de Centre Inffo ne se transforme
en boîte à outils du fraudeur, la responsable
du service de contrôle de la formation professionnelle
de la région Rhône-Alpes aurait en
effet bien continué à travailler dans l'ombre.
Métaphore potache de ce goût du secret, c'est
au dix-huitième étage de la tour Swiss Life, à
Lyon, qu'elle nous accueillera quinze jours plus
tard en compagnie de Fanette Legrand, l'une
de ses six inspectrices du travail. Pour comprendre
cette réserve, il faut à la fois regarder
du côté des effectifs et admettre que la préservation
des méthodes de travail n'est pas sans
lien avec l'efficacité du contrôle.

Cadre national, suspicions régionales

Avec six inspecteurs, trois contrôleurs et trois
adjoints administratifs, l'équipe d'Isabelle Coussot
est contrainte d'agir avec discernement. Il en
ressort une totale absence de hasard dans le choix
des contrôles. Se refusant à en préciser le nombre
pour éviter la diffusion d'un sentiment d'impunité,
la responsable souligne : “Ce n'est pas un
contrôle aléatoire, c'est un contrôle pour suspicion."
Et d'insister : “On pourrait faire plus, mais il faut
essayer d'être pertinent avec les moyens dont on dispose
pour que l'action ait un impact" − également
déterminé par les orientations nationales indiquées
par la DGEFP. Fanette Legrand précise que
le plan d'action ne comporte “ni objectifs quantitatifs
de redressement ni montants de sanctions
financières, ni au niveau national, ni au niveau du
service". Parmi les priorités 2013, on trouve les
actions bénéficiant aux demandeurs d'emploi et
celles financées par les employeurs et les Opca,
notamment dans le cadre de la professionnalisation.
Emblématique des cas rencontrés dans le
cadre de cette orientation, le service rhônalpin
vient de boucler le contrôle d'un grand groupe
ayant détourné l'objet professionnalisant d'un
contrat de travail.

Un contrat de pro pour financer
une période d'intégration


“Ce que l'on a vu, c'est une modalité de recrutement
systématique par contrat de professionnalisation
de tout salarié, quel que soit son âge, son
niveau de qualification et sa fonction", explique
Fanette Legrand. Dans ce cas précis, le groupe a
d'abord créé un organisme de formation interne
sous la forme d'une entité juridique spécifique,
avec une déclaration d'activité portant sur des
actions de formation “banales". Problème, la vocation
réelle s'est révélée être une formation très
axée culture d'entreprise dispensée à tout nouvel
entrant. “Ce n'est pas un problème, sauf quand ce
type de formation est pris en charge par les fonds
de la formation professionnelle, commente l'inspectrice.
Ce qui nous préoccupe dans ce dossier,
c'est d'avoir une personne en contrat de pro qui
n'obtient rien à l'issue de la formation, sinon un
poste. Des fonds de la formation professionnelle
sont mobilisés pour des dépenses qui ne sont pas de
la formation et, quelque part, pour un enrichissement,
soit de l'employeur, soit de l'organisme de
formation", dénonce Isabelle Coussot.

Réalité des feuilles d'émargement

À ce détournement s'ajoutent des suspicions sur
la réalité des feuilles d'émargement et des justificatifs,
avec des signatures de stagiaires s'étalant
sur trois mois alors que le contrat a été rompu
au bout d'un mois, ou des formateurs censés être
présents le même jour en plusieurs lieux et pour
des objets de formation différents. D'où un rejet
de dépenses ayant donné lieu à une double décision
de reversement, la première pour inexécution
à hauteur de 300 000 euros, la seconde pour
dépenses non rattachables à hauteur de 60 000
euros. Soit un montant global de 360 000 euros
qui aurait pu être doublé si le service de contrôle
avait retenu les “manoeuvres frauduleuses" [ 1 ]Intention manifeste et délibérée de se soustraire
à ses obligations.
Pourquoi
ne pas l'avoir fait ? Le mode de contentieux
était jusqu'à présent le “tout ou rien", justifie
Isabelle Coussot : “Si le juge n'est pas convaincu,
on encourt le risque de tout perdre…" Évoquant
un possible changement de stratégie, Fanette
Legrand souligne que le “régime de plein contentieux"
pointe désormais à l'horizon, depuis un
revirement de jurisprudence du Conseil d'État
intervenu début 2013. Preuve qu'un rapport de
force s'établit en dehors de toute considération
de l'esprit du système de formation professionnelle,
le groupe en question conteste l'analyse
du service de contrôle et a porté l'affaire devant
le tribunal administratif. Verdict dans deux ou
trois ans.

Le cas des “pratiques non
conventionnelles à visée
thérapeutique"


Autre axe de contrôle, les “pratiques non
conventionnelles à visée thérapeutique" dont
l'examen a conduit à 80 % d'annulation de
l'enregistrement au motif que les actions présentées
ne relevaient pas du champ de la formation
professionnelle. Pourquoi l'enregistrement a-t-il alors
été initialement délivré ? “Il faut bien avoir en tête
que lorsqu'un numéro est délivré à un organisme de
formation, c'est sur la base d'une première action qu'il
nous soumet. Une fois que l'organisme a son numéro,
il évolue, se développe et s'oriente dans d'autres
directions que le Code du travail ne prévoit pas que
nous examinons, sauf contrôle", explique Isabelle
Coussot, responsable du service de contrôle de la
formation professionnelle de la région Rhône-Alpes.
CQFD : “Ce n'est pas parce qu'il y a un numéro que
l'action est conforme." D'où l'importance du travail
réalisé en amont sur les 1 700 nouvelles demandes
annuelles. Pour chacune d'entre elles, “un gros
travail de vérification de la complétude du dossier est
d'abord réalisé par les adjoints administratifs, avant
instruction par les contrôleurs et, éventuellement,
débat avec un inspecteur ou la chef de service".
Parmi les 20 à 25 % de refus, près de 90 %
proviennent d'actions hors champ, le reste se
répartissant entre présentation de documents non
conformes ou de dossier incomplet.

Notes   [ + ]

1. Intention manifeste et délibérée de se soustraire
à ses obligations.