Droit de la formation professionnelle et de l'apprentissage

Clause de dédit formation : rappel sur les règles de validité

Une décision récente de la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion est l'occasion de repréciser les règles de validité d'une clause de dédit formation.

Par - Le 28 février 2023.

Dans l'affaire jugée par la Cour d'appel de Saint Denis de La Réunion le 15 septembre 2022, un employeur et une salariée ont signé un avenant au CDI par laquelle le premier accepte que la seconde suive une formation sur son temps de travail afin de lui permettre de parfaire ses connaissances et d'améliorer ses compétences dans le poste qu'elle occupe (630 heures de formation sur 12 mois). En contrepartie, la salariée s'engage à rester à son service pendant une période de 3 ans, en cas de démission avant l'écoulement de cette période, la salariée s'engage à rembourser plusieurs sommes.

La salariée démissionne et l'employeur effectue, sur son dernier salaire, une retenue correspondant aux dépenses suivantes : coût pédagogique, rémunération perçue pendant le temps de formation ainsi que des "frais divers" (fournitures, documentation). La salariée conteste la validité de la clause de dédit.

Au visa de l'article 1103 du Code civil, les juges du fond rappellent que "si les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, encore faut-il qu'elles fussent légalement formées". Ils reprennent ensuite les arguments permettant de vérifier la validité de l'avenant au contrat de travail portant clause de dédit-formation.

Sur la demande de remboursement des salaires versés pendant le temps de formation, les juges rappellent que  le contrat de travail s'étant poursuivi pendant le temps de la formation dont la salariée a bénéficié, "les salaires qui lui ont été versés ne sont pas sujet à répétition". Dès lors que la formation s'effectue sur le temps de travail, la clause de dédit formation qui prévoit qu'en cas de départ prématuré, le salarié devra rembourser les rémunérations qu'il a perçues durant sa formation, est nulle (CA Bourges, 22 décembre 2017, n°16/01460Cass. Soc. 5 octobre 2016, n° 15-17.127 - Cass. Soc. 23 octobre 2013, 11-16.032 - Cass. Soc. 4 juill. 2001, no 99-43.520).

Sur la demande de remboursement des "frais divers", les juges rappellent qu'il incombe à l'employeur de rapporter la preuve des frais qu'il a effectivement supportés. Or, l'avenant signé par la salariée prévoyait un remboursement de ces sommes sur la base d'une évaluation forfaitaire. La clause de dédit-formation "conclue sur la base d'une évaluation forfaitaire et non du coût réel de la formation pour l'employeur" est nulle (Cass. Soc. 6 nov. 2013, no 11-12.869). La clause de dédit constitue en effet la "contrepartie d'un engagement pris par l'employeur d'assurer une formation entraînant des frais réels " ( Cass. Soc., 5 juin 2002, n°00-44.327  - Cass. Soc., 17 juillet 1991, n°88-40.201) .

Il ne reste donc plus qu'une seule somme pouvant, éventuellement, être réclamée : le coût pédagogique de l'action de formation. Or, cette somme a été intégralement prise en charge par l'organisme paritaire collecteur dont dépend l'employeur. En l'absence de contrepartie, la clause encourt la nullité. La conclusion s'impose d'elle-même : faute de démontrer qu'il a effectivement exposé des frais pour la formation suivie par sa salariée, la somme prévue par l'avenant à la charge de cette dernière en cas de démission ne correspond pas aux frais effectivement exposés par l'employeur, en sorte que la clause litigieuse est illicite, qu'elle doit être annulée et que la retenue opérée sur les sommes à revenir à la salariée en vertu du solde de tout compte était injustifiée.

D'autres conditions sont exigées pour que la clause de dédit formation soit valide.

Elle doit "faire l'objet d'une convention particulière entre les parties, conclue avant la formation, précisant la date, la nature, la durée de la formation et son coût réel pour l'employeur, ainsi que le montant et les modalités du remboursement à la charge de la salariée" (Cass. Soc., 9 févr. 2010, n° 08-44.477 - Cass. Soc., 4 févr. 2004, n° 01-43.651). La clause ne doit avoir pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner (Cass. Soc., 5 juin 2002, n°00-44.327 - Cass. Soc., 17 juillet 1991, n°88-40.201) ce qui peut être le cas si la durée de service est disproportionnée ou excessive au regard de la durée de la formation et de son coût pour l'employeur (Cass. Soc. 6 octobre 2010, n°07-42.023 - Cass. Soc 18 juin 1981, n°78-40.939)  et que "le montant de l'indemnité de dédit est proportionné aux frais de formation engagés" (Cass. Soc. 21 mai 2002, 00-42.909).

Au-delà de la question de sa validité, des règles régissent également la mise en œuvre d'une clause de dédit formation.

Ainsi, même si la clause est valable, elle ne peut être appliquée dès lors que la formation n'est pas conforme aux engagements de l'employeur (Cass. Soc. 28 mars 1995, n° 91-45.088 - formation de dix jours au lieu d'un mois et demi) ou est interrompue à l'initiative de l'employeur (Cass. Soc. 15 juin 2000 n° 98-42.873). Le salarié est en droit de demander des dommages et intérêts au regard du préjudice qu'il a subi au titre de l'inachèvement de la formation, de son préjudice de carrière et de sa perte de revenus subséquents (Cass. Soc. 15 juin 2000 n° 98-42.873).

La jurisprudence a également précisé que la clause de dédit ne joue qu'en cas de rupture imputable au salarié (démission, prise d'acte produisant les effets d'une démission, départ à la retraite). La clause de dédit-formation stipulée au contrat de travail n'est pas applicable en cas de rupture à l'initiative de l'employeur même en cas de licenciement pour faute lourde du salarié (Cass. Soc. 10 mai 2012, n° 11-10.571).

La clause ne pourra pas être mise en œuvre en cas de rupture d'un commun accord, notamment en cas de rupture conventionnelle. Lorsque la prise d'acte "de la rupture de la salariée [produit] les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (...)" il en résulte que "la salariée [n'a] pas manqué de son fait à son engagement de rester pendant une certaine durée au service de son employeur en contrepartie de la formation qui lui était dispensée" (Cass. Soc., 11 janv. 2012, n° 10-1 5.481).

Les juges apprécient in concreto la condition d'imputabilité de la rupture. Ils ont ainsi décidé que lorsque le contrat de travail est rompu en cours de période d'essai par l'employeur "à la suite du refus du salarié de signer le contrat de travail", la clause est opposable au salarié (Cass. Soc. 20 juin 2001, no 99-42.457). Il s'ensuit  naturellement que lorsque la démission du salarié fait suite à des manquements graves de l'employeur, la clause n'est pas opposable au salarié (non paiement des salaires - Cass. Soc. 4 juillet 1990, 87-43.787).

Le législateur interdit le recours à la clause de dédit dans les contrats de professionnalisation (article L6325-15 du Code du travail). Bien qu'une telle interdiction n'existe pas formellement dans le Code du travail pour le contrat d'apprentissage, une telle clause viderait de sa substance le contrat. En effet, l'employeur s'engage "à assurer à l'apprenti une formation professionnelle complète" (article L6221-1 du Code du travail).  "L'employeur qui ne satisfait pas à son obligation de formation détourne le contrat d'apprentissage de son objet" (Cass. Soc. 12 février 2013, 11-27.525). Il en va de même pour les contrats aidés comme le contrat d'accompagnement dans l'emploi qui comporte une obligation de formation à la charge de l'employeur (article L5134-20 du Code du travail). Selon les juges, "l'obligation pour l'employeur d'assurer, dans le cadre du contrat d'accompagnement dans l'emploi, des actions de formation, d'orientation professionnelle et de validation des acquis destinées à réinsérer durablement le salarié constitue une des conditions d'existence de ce contrat, à défaut de laquelle il doit être requalifié en contrat à durée indéterminée" (Cass. Soc. 15 décembre 2021, 19-14.018).

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Pour aller plus loin (accès abonné aux Fiches pratiques du droit de la formation) : Fiche 26-12 : Clause de dédit-formation