Une "IA socratique" pour mieux apprendre : le pari de Salman Khan

« C'était quatre mois avant le lancement de ChatGPT. J'étais curieux mais sceptique. » Ainsi Salman Khan, le fondateur de la Khan Academy, se souvient-il du courriel reçu à l'été 2022 de Greg Brockman et Sam Altman, respectivement président et directeur général d'OpenAI. Objectif de ces derniers qui s'apprêtent à ouvrir au grand public la version 3.5 de leur intelligence artificielle générative : proposer aux équipes de la Khan Academy d'explorer le potentiel de GPT-4 pour l'éducation et la formation.

Le tsunami ChatGPT

Comme bientôt le monde entier, les équipes de la Khan Academy ressortent bluffées de leur rencontre avec l'agent conversationnel. Très vite, la puissance de l'outil les convainc qu'il y a là une clé pour l'augmentation massive de l'égalité d'accès à l'éducation. Ils ne l'ignorent pas pour autant, l'IA présente aussi un risque de servitude volontaire, qui se manifesterait sous la forme d'un refus de l'effort d'apprentissage qu'implique toute démarche de construction de compétences : « nous étions inquiets à l'idée que l'IA fasse de nos enfants une génération de bavards qui n'allaient rien apprendre du tout. » La solution viendra de Khanmigo, assistant socratique de la Khan Academy lancé le 15 mars 2023. Socratique ? « Nous pourrions créer une IA qui refuserait de fournir les réponses […] Comme tout bon professeur, elle les guiderait en posant des questions qui les mettent sur la voie. » C'est cette aventure que Salman Khan décrit dans un livre à paraître ce jeudi 15 mai.

Tutorat assisté par IA

Khanmigo prend la forme d'un « tuteur patient et personnalisé » côté étudiant et d'un assistant côté enseignant. L'IA n'est pas là pour faire à la place mais pour accompagner l'apprenant dans sa progression. Alors que Luc Julia, célèbre pour avoir été l'un des concepteurs de Siri, l'assistant vocal d'Apple, persiste dans son dernier ouvrage^{[ 1 ]}IA génératives, pas créatives. L'intelligence artificielle n'existe (toujours) pas. Le Cherche-Midi, 272 p., mai 2025. à dénier toute capacité créative aux intelligences artificielles génératives, c'est une toute autre posture que défend Salman Khan : « les grands modèles de langage peuvent susciter des idées nouvelles, en faisant gagner du temps et en améliorant notre travail – si on les utilise correctement. » Se renforce ici la notion d'assistant – l'IA n'est pas créative de manière autonome -, et se dessine une réflexion sur la façon dont émergent les idées nouvelles : « C'est vrai, la créativité de l'IA générative ne fait que dériver des données auxquelles elle a été exposée. Mais la nôtre est-elle différente ? » C.Q.F.D. : « l'IA ne va pas créer à notre place mais devenir un partenaire de jeu. »

Compagnon enseignant

Salman Khan défend aussi l'idée qu' « avec l'arrivée de l'IA, il n'y a pas de métier qui soit moins menacé que celui d'enseignant. » L'intégration de ce nouvel outil dans les salles de classe va selon lui élever le niveau d'exigence et permettre de revisiter les temps d'apprentissage, avec des devoirs désormais effectués en présentiel dans un environnement beaucoup plus interactif et avec davantage de différentiation pédagogique.

Comment aborder la question de l'évaluation à l'ère des IA génératives ? Salman Khan propose un modèle où il revient à l'enseignant de déterminer le degré d'assistance autorisé pour la réalisation des travaux personnels. Dans Khanmigo, l'IA est aussi capable de produire un retour sur les interactions entre la plateforme et l'apprenant, ce qui permet à la fois de vérifier le cheminement de l'apprenant et de mieux comprendre ses difficultés. Pour Salman Khan, plutôt que d' « être séparée de l'apprentissage lui-même », l'évaluation devient « une conversation fluide avec un mentor bienveillant et amusant. »

Du bon côté de la balance

À son plaidoyer en faveur de l'IA dans l'éducation, Salman Khan ajoute un autre argument : « l'IA a deux avantages : elle est là quand on en a besoin et elle est financièrement abordable. » Dans le monde réel où, pour prendre l'exemple des États-Unis, environ la moitié des lycées américains ne proposent pas de cours de calcul, où, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Asie, les cours particuliers sont devenus la norme, où encore, comme en France, près d'un collège et lycée sur six ne parvient pas à recruter tous les professeurs prévus au budget, l'IA apporte des solutions qui permettent le passage à l'échelle.

Conscient des craintes qui s'élèvent face à l'essor de l'IA, Salman Khan s'en remet in fine à une posture volontariste : premièrement, oui, les biais existent mais ils sont bien souvent le reflet des biais humains et, surtout, « la force d'un processus à base d'IA, c'est qu'il peut être audité » et, donc, corrigé ; deuxièmement, parce qu'aucun moratoire ne sera respecté par les « acteurs malveillants, […] ignorer l'IA ne va pas la faire disparaître. » D'où le conseil conclusif du fondateur de la Khan Academy : « c'est en accélérant nos investissements dans les usages bénéfiques que nous ferons pencher la balance du bon côté. »

• Un nouveau monde – Comment l'IA révolutionne l'éducation de nos enfants. Salman Khan, L'arbre qui marche, 240 p., mai 2025 :
  https://larbrequimarche-editions.fr/catalogue/un-nouveau-monde/