Le compte personnel de formation « devient plus proche du droit de la consommation que du droit du travail » (Pascal Caillaud, CNRS)

 Que reste-t-il des principes des lois de 1971 ? Quelles ruptures après la réforme de 2018 ? Quelles perspectives se dégagent de ces 50 ans d'évolution du dispositif de la formation professionnelle ? Plusieurs personnalités et experts du secteur de la formation professionnelle apportent leur éclairage sur ces questions. Décryptage avec Pascal Caillaud, directeur du centre associé au Céreq de Nantes, chargé de recherche CNRS. 

Par - Le 24 août 2021.

Le Quotidien de la formation. Que doit on à la loi Delors ?

Pascal Caillaud. Elle inscrit la formation professionnelle continue dans le contrat de travail. On lui doit aussi une façon de construire et d'enraciner l'idée de loi négociée suite à un accord national interprofessionnel dans la culture juridique et politique française. En 1970, le refus patronal de négocier le financement de la formation professionnelle continue a poussé l'Etat à choisir. En 1971, il a arbitré, en prenant en référence la masse salariale, mais en tenant compte de la situation des TPE (entreprises de moins de 10 salariés) : pas de contribution jusqu'en 1991, toujours un taux spécifique depuis. En 1971, l'idée d'une gestion de la contribution des entreprises par des Fonds d'assurance formation paritaires se rapproche de celle de la sécurité sociale paritaire, mais sans aller jusqu'à l'étatisation ou la fiscalisation de la gestion, fermement rejetée par la majorité politique de l'époque. A noter que ce n'est qu'en 1984 que la loi Rigout généralise le congé formation aux salariés de toutes les entreprises, et ce n'est qu'en 2007 que la loi Larcher entérine cette culture de loi négociée.

QDF. Aujourd'hui, quel bilan faites vous de la réforme de 2018 ?

PC. 2018 est une rupture dans l'idée de loi négociée. Elle donne aux partenaires sociaux un délai très court et une lettre très précise sur les réalisations attendues : leur autonomie a été contrainte. La négociation devient un rituel indispensable pour légitimer la loi, mais le fond était décidé par le gouvernement. L'expression du CPF en euros avait déjà été tranchée par le gouvernement, alors que l'ANI l'avait maintenu en heures. France compétences absorbe toutes les instances préexistantes, y compris paritaires, et installe un quadripartisme dans lequel les partenaires sociaux sont minoritaires, là encore malgré l'ANI comportant un pan entier sur la gouvernance interprofessionnelle paritaire. La constitution de 11 Opco donne de grands ensembles larges plus faciles à maîtriser. La collecte est transférée aux Urssaf paritaires. La spécificité des 0-50 salariés est réaffirmée dans l'usage des fonds mutualisés.

La gouvernance et le pilotage sont très recentralisées et étatisées, au nom d'une logique d'intérêt général, et parce que la formation des personnes privées d'emploi ressort aussi de la puissance publique et des régions. Cela témoigne d'une méfiance face aux partenaires sociaux sur la gestion et la gouvernance, entretenue par les rapports sur « l'inefficacité de système», peut être lié à l'émiettement des branches.

A propos du CPF, il faut rendre au mandat de François Hollande la création du CPF et son intégration dans le Compte personnel d'activité. En 2014, le DIF embêtait tout le monde : le relevé annuel du DIF par les entreprises et l'usage en cas de licenciement avaient même amené la cour de Cassation à éclaircir les imprécisions de la loi. Le DIF était non transférable : on avait inventé en 2009 une insatisfaisante "portabilité" de ce mécanisme. Ce n'était pas un droit malgré son nom, ce qui avait créé de la confusion chez les salariés. Un CPF pour tous, hors statut, hors accidents de la vie, ne remettant pas les droits à zéro, était une bonne idée.

Mais, avec la réforme de 2018, l'application smartphone et l'expression en Euros, ce compte devient plus proche du droit de la consommation que du droit du travail. Les "travailleurs-consommateurs" sont isolés face à cet objet, malgré les démarches qualité, le CEP, voire l'Entretien professionnel. N'est-ce pas une machine à créer de la frustration, comme disait le professeur Lyon-Caen ? Depuis un an, les exemples d'arnaques, de vols d'identifiants, et la présence du bandeau "Alerte à la fraude !" comme première information sur le site officiel du CPF, sont atterrants.

Si l'idée de co-investissement entre le salarié et l'employeur dans l'usage du CPF était celle que voulaient promouvoir ses créateurs, le nom même de « compte personnel » n'aide pas à faire passer l'idée, les messages politiques et syndicaux dans ce sens sont insuffisants, et le système technique de gestion - la garantie d'abondements notamment - est encore embryonnaire.

 QDF. Qu'est-il souhaitable de faire désormais ?

PC. Laisser du temps à cette réforme, en corrigeant les imperfections repérées, et arrêter la frénésie de réforme. Laisser les partenaires sociaux, les Opco, les associations Transitions Pro…. faire des partenariats, des expérimentations. Laisser les entreprises et branches négocier sur la co-construction autour du CPF.

Restent deux chantiers d'ampleur. D'abord, revenir aux fondements de la loi Delors et de son premier article sur l'accès de tous aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle. Essayer de l'envisager même si l'horizon semble un peu bouché.

Ensuite, s'interroger sur la reconnaissance de la formation car, à ce sujet, les dernières réformes sont bien silencieuses.