« Le pari dans la relation directe entre un offreur de formation, une entreprise et un apprenti en passe d'être gagné » (Bruno Lucas, DGEFP) 

Quelle implication de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle dans la mise en oeuvre de la réforme ? En quoi l'écosystème de la formation a-t-il évolué un an après la promulgation de la loi avenir professionnel ? Quels chantiers pour l'année à venir ? Le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle Bruno Lucas répond à nos questions, dans un entretien exclusif accordé à Centre Inffo.

Par - Le 13 septembre 2019.

Centre Inffo : Quelle implication en 2019 de la DGEFP dans le déploiement de la réforme de la formation professionnelle ?

Bruno Lucas : Le déploiement des mesures issues de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel nous a conduit, en 2019, à travailler en forte collaboration avec tous les acteurs impliqués dans cette réforme, notamment avec les organismes de formations et les CFA, que nous réunissons à intervalles réguliers, ainsi qu'avec les branches professionnelles. Ces dernières se sont fortement mobilisées pour créer leurs opérateurs de compétences (Opco) et, au premier trimestre, dans la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage. Le défi pour la DGEFP consiste maintenant à lier la construction ou l'adaptation des textes réglementaires, avec des préoccupations opérationnelles autour de l'organisation des acteurs, des flux d'informations, des systèmes de gestion et de financement.

2019 a permis de poser les bases d'une nouvelle relation de travail, que je souhaite intense et constructive, avec les opérateurs de compétences.

2019 a permis de poser les bases d'une nouvelle relation de travail, que je souhaite intense et constructive, avec les opérateurs de compétences. Sans se substituer à leurs responsabilités et dans le respect de leur gouvernance paritaire, nous ferons le maximum pour partager les enjeux d'évolution à court et à moyen terme des besoins en compétences des entreprises et inciter au déploiement massif des réponses opérationnelles à ces enjeux, en particulier, bien sûr, l'apprentissage. Dans cette phase de construction des gouvernances et de structuration de l'offre de services des Opco, mes services s'efforceront de diffuser régulièrement les informations dont ils ont besoin et de partager avec eux les projets et les impacts des transformations en cours, dont ils son, parmi d'autres, les porteurs.

Aujourd'hui, 8 200 apprentis ont reçu 500 euros d'aide au permis de conduire

En matière d'apprentissage, 2019 a aussi été l'année de la mise en place, avec l'appui de l'agence des services de paiement, de deux nouvelles aides : l'aide unique pour inciter à l'embauche d'apprentis dans les entreprises de moins de 250 salariés et l'aide au permis de conduire pour les apprentis. Aujourd'hui, 8 200 apprentis ont reçu 500 euros d'aide au permis de conduire et 38 423 aides uniques ont été attribuées aux 32 610 employeurs qui en font fait la demande.

la future application « mon compte formation » permettra à tous les actifs de prendre en main leur parcours professionnel

La DGEFP est aussi engagée, au quotidien, aux côtés des équipes de la Caisse des dépôts et consignations pour réussir le lancement de l'application mobile du compte personnel de formation. D'accès direct, monétisé, la future application « mon compte formation » permettra à tous les actifs de prendre en main leur parcours professionnel, sans passer par des intermédiaires.

C. I : En quoi l'écosystème de la formation a déjà évolué ?

B. L : La réforme a pour but que le système de formation professionnelle soit davantage centré sur les actifs, les entreprises, et plus facilement compréhensible et lisible, pour que les bénéficiaires puissent davantage utiliser leurs droits et se saisir de la formation, pour gagner en compétences, sécuriser leur employabilité et faire face aux fortes mutations actuelles et à venir.

Pour que le système de formation soit plus simple et transparent, y compris dans la répartition et l'usage des fonds, nous avons créé l'établissement public France compétences. C'est un nouvel acteur, central dans le système de formation professionnelle. Au-delà de ses missions de répartition des fonds, France compétences est d'abord une autorité de régulation qui doit faire réfléchir sur les évolutions des besoins de formation et les comportements des acteurs, notamment des financeurs. Son pouvoir de recommandation a déjà été exercé avec succès pour réduire des écarts constatés dans la fixation des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage par les branches. Ce n'est que le début, car France compétences a aussi vocation à développer des missions d'observation et d'évaluation, contribuant ainsi à la stratégie nationale de développement des compétences.

Mais ce qui frappe le plus, ces derniers mois, c'est la dynamique qui s'amorce auprès des offreurs de formation. Dans quelques semaines, les premiers organismes de formation pourront être certifiés par des professionnels reconnus par le Cofrac [ 1 ]Comité français d'accréditation; un plus grand nombre d'offreurs réfléchissent déjà à leurs processus internes, à l'adaptation de leurs moyens et de leurs prestations pour répondre au référentiel qualité. Cette démarche qualité n'est pas nouvelle, mais une nouvelle marche est en train d'être franchie.

S'agissant de l'apprentissage, enfin, le pari dans la relation directe entre un offreur de formation, une entreprise et un apprenti est en passe d'être gagné : la dynamique liée à la libéralisation de l'offre de formation par apprentissage est bien lancée, avec 554 offreurs de formation qui ont déclaré une intention de former par apprentissage et, plus précisément, 393 nouveaux établissements qui ont indiqué vouloir lancer des formations par apprentissage en 2019 et 2020. Cette ouverture de l'offre conforte le développement de l'apprentissage, avec 458 000 apprentis au 30 juin 2019, un record. Certains pensaient que la réforme allait déstabiliser les CFA et engendrer des réflexes d'attente ou de précaution, ce n'est pas du tout ce que nous constatons. La réforme crée une dynamique.

C. I : Quels vont être les chantiers de l'année qui vient ?

Faciliter la connaissance, l'usage et l'appropriation de l'application « mon compte formation » via une campagne de communication grand public

B. L : Faciliter la connaissance, l'usage et l'appropriation de l'application « mon compte formation » via une campagne de communication grand public, notamment, sera le chantier de premier plan des mois à venir. Cette application doit pouvoir être connue des actifs et, avec les services et ressources associées (dématérialisées ou non, je pense aux opérateurs du conseil en évolution professionnelle), elle doit améliorer la capacité des individus à faire leurs propres choix professionnels et à se former si cela est nécessaire. Elle doit aussi se construire avec les entreprises : la construction des canaux de gestion pour traiter les abondements des branches et des entreprises contribuera aussi à la réussite du CPF.

Il faut que nous progressions encore sur la transparence du marché, pour mieux collecter les offres des entreprises

Sur l'apprentissage, il faut que nous progressions encore sur la transparence du marché, pour mieux collecter les offres des entreprises, mieux organiser l'appariement avec les jeunes, en lien avec leurs familles. Un travail important est en cours avec l'Éducation nationale en matière de systèmes d'information.  Il y a plus globalement pour tous les acteurs concernés un effort à approfondir et à amplifier pour apporter plus de services aux apprentis, éclairer les choix de chacun et faciliter l'orientation et le « réflexe apprentissage ».

Enfin, nous devons accompagner la mise en œuvre opérationnelle de la transformation du système de formation professionnelle, en ayant sans cesse à l'esprit les enjeux auxquels nous sommes collectivement confrontés : la globalisation des marchés, le développement du numérique, de la robotique, la nécessité d'adapter les modes de production et de consommation à la préservation des ressources naturelles et au réchauffement climatique, qui entraînent une transformation des modes de production, d'organisation du travail, et in fine des besoins en compétences requises sur le marché du travail. Décrypter ces transformations, les quantifier, trouver des réponses adaptées, mobiliser  l'ensemble des acteurs et des dispositifs, tout cela doit concourir à un indispensable effort collectif pour réussir l'enjeu « compétences » pour notre pays !

Notes   [ + ]

1. Comité français d'accréditation