Repenser l'emploi des seniors

Sujet de la négociation interprofessionnelle en cours, l'emploi senior souffre de freins au recrutement et d'un déficit d'implication des entreprises dans la gestion de carrière des plus de 45 ans. Dans un contexte de pénurie de compétences, Experconnect invite à sortir du cadre pour valoriser autrement l'expertise des profils les plus expérimentés.   

Par - Le 28 février 2024.

En France, le taux d'emploi des seniors fait toujours partie des plus faibles en Europe. Il faut dire que nous revenons de loin. A partir des années 1970, les politiques publiques ont favorisé leur sortie du marché du travail pour lutter contre le chômage de masse à l'aide de différents dispositifs de préretraite. Face au déséquilibre des régimes de retraite, le crédo change à partir des années 2000 et la plupart d'entre eux sont abandonnés. Mais le mal était fait. Les politiques de ressources humaines investissent en priorité sur les parcours de leurs jeunes talents et délaissent trop souvent la gestion de carrière des plus de 45 ans.

Aujourd'hui, le vieillissement de la population active, la pénurie de compétences et la dernière réforme des retraites imposent de prendre le sujet à bras-le-corps. Dans certaines filières à cycle long particulièrement sensibles comme le nucléaire ou le ferroviaire, les conséquences se font encore sentir. « Les effets de la pyramide des âges et des départs à la retraite anticipés privent les entreprises de compétences et de savoir-faire précieux. L'impact en matière de performance a été sous-estimé dans de nombreuses industries », confirme Gilles Effront, co-fondateur d'Experconnect.

Depuis 2005, ce cabinet conseil propose aux entreprises les compétences de profils expérimentés, jeunes retraités ou préretraités. Plus de 8 000 professionnels seniors de son réseau accomplissent ainsi des missions d'une journée à trois mois sur des projets dans les domaines de l'innovation, de l'ingénierie, des restructurations, de la stratégie de développement ou encore de la gestion des ressources humaines.

Favoriser de nouvelles formes d'emploi pour les seniors

Pour relancer l'emploi senior, de nombreuses pistes sont évoquées et discutées par les partenaires sociaux dans le cadre de leur négociation interprofessionnelle « Pacte de la vie au travail » lancée au début de l'année. Certaines portent sur des incitations au recrutement (CDI senior) ou au maintien dans l'emploi (Index senior), d'autres misent sur la formation et une meilleure gestion des carrières dans les entreprises. Toutefois, certaines voix défendent une vision plus large et préconisent des solutions innovantes dans un monde du travail en pleine transformation où l'expérience des seniors a toute sa place.

« Nous avons besoin de changer de regard et d'approche sur l'emploi senior. L'offre et les dispositifs de formation ne sont pas toujours adaptés. Il faudrait, par exemple, favoriser l'accès au CPF qui reste trop souvent non consommé au moment du départ à la retraite. Autre piste de réflexion, l'index senior ne devrait pas se limiter au salariat pour intégrer les autres formes d'emploi », avance Gilles Effront.

Au fil des enquêtes (voir encadré), on mesure le poids des idées reçues. Loin de tourner le dos au travail, de nombreux seniors y compris après leur départ à la retraite, restent motivés par le désir de transmettre leur savoir-faire, répondant ainsi à un des enjeux forts des entreprises. Experconnect en fait l'expérience depuis près de 20 ans. Les membres de son réseau suivent deux courtes formations pour les outiller à leur nouveau statut d'indépendant et à leurs missions.

 

Seniors et entreprises, le grand malentendu ?

Les résultats d'une enquête récente réalisée par le cabinet Robert Walters confirment les stéréotypes et les malentendus dont souffre l'emploi senior. Le blocage intervient dès le process de recrutement. Ainsi, 66 % des cadres estiment que les seniors sont exclus sur CV. De leur côté, 32 % des entreprises déplorent un manque de candidatures, qui selon elles, constituerait le principal frein à leur recrutement. Autre écart de perception tenace, les ressorts de la motivation des seniors. Systématiquement invoquée, leur rémunération, jugée trop élevée par 92 % des cadres et 78 % des entreprises, aurait un impact négatif sur l'employabilité des seniors. Or, selon Aude Boudaud, associée au sein du cabinet Robert Walters « les seniors évoquent avant tout l'envie d'évoluer, la flexibilité et le management ». Chacun semble se renvoyer la balle. Pour 36 % des cadres âgés de plus de 50 ans, les changements doivent venir des organisations et des recruteurs. L'Association des directeurs des ressources humaines (ANDRH) en appelle, pour sa part, aux pouvoirs publics, « …nous réaffirmons notre volonté de voir émerger un plan "1 senior, 1 solution" ».