Droit de la formation professionnelle et de l'apprentissage

Clause de résiliation d'un contrat : le juge peut en contrôler l'application

C'est l'enseignement qu'il faut tirer de la décision de la Cour de cassation du 31 janvier 2024 concernant une clause de résiliation pour cas de force majeure présente dans un contrat d'enseignement.

Par - Le 22 avril 2024.

Il n'est pas rare que les contrats conclus dans le secteur de la formation comporte une clause autorisant l'apprenant à résilier le contrat pour cas de force majeure dument reconnue par l'organisme de formation, par exemple en référence à une liste qu'il aura préétablie.

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 janvier 2024 apporte un éclairage important sur le rôle du juge dans la mise en œuvre de ce type de clause. Si la Cour de cassation est régulièrement appelée à rappeler les règles concernant leur licéité (notamment dans les contrats conclus avec un consommateur, ce qui était le cas dans l'affaire qui nous intéresse), il est moins fréquent qu'elle soit amenée à statuer sur leur mise en œuvre.

Les faits jugés concernaient un contrat d'enseignement conclu en juin 2020 par une mineure, assistée de son père, pour une formation de deux ans. Une partie des coûts pédagogiques a été réglée en septembre 2020. Le contrat prévoyait la possibilité pour l'étudiant de solliciter la résiliation de son contrat à titre exceptionnel s'il justifiait d'un cas de force majeure ou d'un motif légitime et impérieux et précisait que cette demande, impérativement étayée par des documents, ferait l'objet d'un examen par la direction de l'école qui apprécierait l'existence avérée du cas de force majeure ou du motif légitime et impérieux invoqué par l'étudiant. Les parents ont sollicité la résiliation du contrat. L'école, s'y étant opposée, a obtenu une ordonnance d'injonction de payer le solde des frais de scolarité. Les parents ont formé opposition à cette injonction de payer devant le tribunal de proximité qui a déclaré recevable et bien fondé cette opposition et rejeté la demande en paiement de l'école estimant qu'était caractérisée l'existence d'un motif légitime et impérieux justifiant la résiliation du contrat.

L'école se pourvoit en cassation. Son argument : les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Or la clause litigieuse prévoyait qu'en cas de demande de résiliation demandée par l'étudiant, c'était l'école qui appréciait l'existence avérée du cas de force majeure ou du motif légitime et impérieux invoqué par l'étudiant. En substituant son appréciation du motif invoqué par l'étudiant à celle de l'école, le tribunal de proximité a violé l'article 1103 du code civil.

Autrement dit, n'ayant pas discuté la nullité de la clause, le juge ne pouvait que l'appliquer. Cette vision du rôle du juge n'est pas partagée par la Haute cour qui pose le principe que "l'application par les parties de la clause d'un contrat d'enseignement, prévoyant une faculté de résiliation dans le cas d'un motif légitime et impérieux invoqué par l'étudiant et apprécié uniquement par la direction de l'école, n'échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge".  Et on voit mal comment il pourrait en aller autrement : en cas de désaccord sur l'application d'une clause, seul le juge peut régler le désaccord. C'est d'ailleurs un rôle qui lui est expressément dévolu avec pour seule limite la dénaturation des termes du contrat (articles 1188 à 1192 du Code civil).

Mais, en filigrane, on perçoit également une autre motivation à cette décision. Assurer un second niveau de protection lorsque la nullité de la clause litigieuse n'aura pas été discutée, qu'il s'agisse de démontrer :

- son caractère abusif si le contrat a été conclu entre un professionnel et un consommateur (d'une manière générale, ce type de clause stipulée dans les contrats d'enseignement  sera considérée comme abusive, voir notamment sur les clauses de résiliation pour cas de force majeure Cour de cassation, civ, 12 octobre 2016, n° 15-25.468 - Cour de cassation , civ,  10 février 1998, n° 96-13.316 ),

- ou l'existence d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (dans les contrats entre professionnels, sur la base de l'article L442-1 du Code du commerce et dans les contrats d'adhésion, ce qui sera souvent le cas dans le secteur de la formation voir sur ce point notre actualité du 31 octobre 2022, sur la base de l'article 1171 du Code civil).

Ainsi, le juge contrôle l'équilibre de la clause tant en amont (licéité de la clause) qu'en aval (application de la clause). Il va sans dire que ce principe joue tant pour les contrats de consommation que pour les contrats de formation professionnelle et les conventions de formation.

Cour de cassation, chambre sociale, 31 janvier 2024, n°21-23.233