Apprentissage à distance : une minoration… et une définition en filigrane ?
La loi de finances pour 2025 ouvre la voie à une modulation du financement des CFA en fonction du recours à la formation à distance. Une mesure dont la mise en œuvre nécessite la publication d'un décret et qui soulève, selon Fouzi Fethi, responsable du pôle Droit et politique de formation à Centre Inffo, des interrogations juridiques et opérationnelles concernant la définition même de l'apprentissage.
Par Fouzi Fethi - Le 06 mai 2025.
Le 30 avril dernier, le gouvernement a dévoilé plusieurs mesures, dont l'une fait particulièrement débat : à compter du 1er juillet 2025, les formations en apprentissage dispensées à plus de 80 % à distance verront leur financement réduit de 20 %.
Derrière cette décision motivée par des impératifs budgétaires se profilent des interrogations juridiques et pédagogiques : en quantifiant l'enseignement à distance, l'apprentissage, dans sa forme la plus numérique, tendrait-il à se rapprocher de la formation continue ? Surtout, comment évaluer de manière rigoureuse si une "formation" a bien dépassé le seuil des 80 % de distance par rapport au cursus de l'apprenti ?
Une sémantique floue, une frontière qui vacille ?
Cette mesure, issue de la loi de finances pour 2025, nécessite un décret d'application qui s'annonce délicat, tant le texte laisse place à un flou sémantique.
En effet, la formulation retenue par le Code du travail, à l'article L. 6332-14, évoque la possibilité de moduler les financements lorsque « la réalisation des actions de formation implique des modalités de formation à distance ».
Faut-il y voir une simple imprécision, ou bien une volonté assumée de brouiller la frontière entre apprentissage et action de formation ?
Deux logiques de prestation historiquement distinctes
Il faut dire que jusqu'ici, ces deux types de prestation étaient bien distinctes. L'« action de formation » est définie comme un « parcours pédagogique permettant d'atteindre un objectif professionnel » (Art. L. 6313-2 C. trav.), tandis que l'apprentissage repose sur une « éducation alternée » articulée entre enseignements théoriques en CFA et formation pratique en entreprise (art. L. 6211-2 C. trav.).
C'est cette alternance qui structure le modèle économique et social de l'apprentissage, prestation qui intègre des missions d'accompagnement, de coordination, d'inclusion — bien au-delà des seuls coûts pédagogiques.
Un financement global, indépendamment de la durée de l'enseignement
C'est en ce sens que le versement des niveaux de prise en charge (NPEC) par l'opérateur de compétences (Opco) est corrélé à la durée du contrat d'apprentissage, et non aux seules heures de cours dispensées.
Contrairement à la formation continue, le CFA n'est pas financé en fonction de la durée de ses enseignements, mais théoriquement pour l'ensemble de ses missions, qui vont au-delà de la fonction pédagogique : orientation, recherche d'employeur, coordination entre formateurs et maîtres d'apprentissage, information sur les droits, la mixité, etc., sans oublier les exigences de qualité liées à la certification Qualiopi (art. D. 6332-78 C. trav.).
Introduire une minoration de 20 % sur la base d'un critère purement quantitatif des enseignements — le taux de distanciel — viendrait-il infléchir ce modèle, en rapprochant l'apprentissage d'une logique de prestation plus proche de la formation continue ?
Mesurer le distanciel : un enjeu financier
En effet, pour appliquer cette minoration, il faudra alors mesurer la proportion des enseignements à distance dans le cadre du cursus de l'apprenti.
Et c'est ici que les lignes deviennent floues.
Car si la formation continue dispose de garde-fous pour encadrer les modalités à distance — notamment l'obligation d'un accompagnement avec assistance technique et pédagogique, une information sur les activités et les temps estimés pour les réaliser, ainsi que des évaluations intermédiaires ou finales (art. D. 6313-3-1 du C. trav.) — l'apprentissage, lui, reste muet sur le sujet.
Des critères de mesure inexistants
Comment dès lors, un CFA qui propose un enseignement hybride peut-il calculer objectivement cette part de "formation" à distance ? Faudra-t-il s'appuyer sur le volume d'heures prévu dans le référentiel, sur celles réellement suivies par l'apprenti ?
Faudra-t-il faire une distinction entre les cours en ligne synchrones, où l'apprenant interagit en temps réel avec son formateur, et les cours asynchrones, consultés librement ?
À quel moment l'Opco devra-t-il statuer sur la minoration : lors du dépôt du contrat ou à la facturation ? Et surtout, quels moyens aura-t-il à sa disposition pour contrôler le respect de ce plafond ?
Autant de questions, en apparence techniques, mais aux effets très concrets.
Un cadre juridique encore à inventer
Aujourd'hui, le Code du travail reconnaît l'enseignement à distance dans le cadre de l'apprentissage, mais sans en proposer de définition précise. Cette absence de cadre juridique rend la mise en œuvre de la minoration annoncée non seulement complexe, mais aussi juridiquement risquée.
Faut-il alors importer les critères issus de la formation continue pour établir une référence commune ? Si tel est le cas, cela reviendrait à rapprocher deux prestations historiquement et juridiquement distinctes — une évolution loin d'être anodine, tant elle pourrait redessiner les contours mêmes de l'apprentissage.
Une mesure budgétaire aux implications plus larges
Ainsi, ce qui semble être une simple mesure budgétaire cache en réalité un enjeu bien plus large, tant sur le plan juridique qu'opérationnel.
La question qui se pose alors est la suivante : jusqu'où ira le futur décret ? Ira-t-il jusqu'à définir la manière de mesurer la part des enseignements à distance dans un cursus d'apprentissage ? Ce qui nécessitera, à l'instar de la formation continue, de donner une définition à l'enseignement à distance.
Avec une entrée en vigueur fixée au 1er juillet, l'échéance approche à grands pas. Reste à savoir si ce délai sera suffisant pour parvenir à une rédaction équilibrée d'un décret qui concilie les impératifs budgétaires, juridiques et opérationnels.
Le sujet de la qualité de l'apprentissage et de sa régulation financière sera abordé lors de la Grande journée de l'apprentissage organisé par Centre Inffo le 24 juin prochain :
CFA, Opco, entreprises : quelle réforme du financement et de la régulation de l'apprentissage ?