La rupture anticipée du contrat d'apprentissage sous le regard des juges du fond

Saisine du médiateur, résiliation judiciaire, prise d'acte, transaction … Autant de sujets qui ont été traités récemment par les juges du fond. Nous vous proposons un panorama de ces décisions rendues en 2025.

Par - Le 08 décembre 2025.

Bien que ne constituant bien souvent qu'une « jurisprudence locale », les décisions rendues par les juridictions d'appel peuvent servir à illustrer, voire à convaincre et à justifier. Les démonstrations des magistrats, leurs conclusions, peuvent servir à argumenter une position, voire à soutenir une démonstration ou une interprétation.

C'est dans cet esprit que nous vous proposons un panorama de plusieurs décisions rendues par des Cours d'appel sur la rupture anticipée du contrat d'apprentissage en 2025.

Saisine obligatoire du médiateur ou entretien obligatoire avec le médiateur ?

Au-delà de la période des 45 premiers jours de formation pratique, la rupture du contrat d'apprentissage peut intervenir à l'initiative de l'apprenti après respect "sollicitation" du médiateur (article L6222-18 du Code du travail - article D6222-21 du Code du travail).

Une Cour d'appel considère que ces dispositions législatives ou règlementaires du Code du travail qui évoque l'a "sollicitation" du médiateur "n'exigent pas l'organisation d'un rendez-vous avec le médiateur, ni même d'un contact opéré entre le médiateur et l'employeur, mais simplement la saisine d'un médiateur" (CA de Versailles, 22 septembre 2025, RG n° 23/00297).

Le droit de rompre le contrat dans les "45 jours"  peut être abusif ...

Le droit de rompre le contrat dans les "45 jours"  de formation pratique n'est pas discrétionnaire. C'est la position retenue par certains juges du fond : le droit de rompre ne doit pas être abusif.

Ce sera le cas si la rupture intervient à la suite d'une discrimination (article L1132-1 du Code du travail). 

Notamment, aucune personne ne peut être écartée de l'accès à une période formation à raison d'une mesure de discrimination, directe ou indirecte, en raison de son état de santé (CA Limoges, 17.4.25, RG n° 24-00544CA Reims, 15.1.25, RG n° 23-02018)

Dès lors que "la rupture du contrat d'apprentissage est intervenue pour un motif discriminatoire, l'employeur ne peut pas valablement se prévaloir de la possibilité de résilier le contrat d'apprentissage sans motif durant les 45 premiers jours".

... ainsi que le non recours au droit de rompre le contrat dans les "45 jours" !

Les juges ont retenu que le non recours à la rupture dans les 45 jours pouvait être abusif.

Ainsi, alors qu'il se trouve en capacité de rompre unilatéralement et librement le contrat d'apprentissage dans les 45 jours de formation pratique, "un employeur qui a contraint par la menace son apprenti à la démission, a commis un abus manifeste dans une rupture, qu'il était le seul à souhaiter, des relations de travail". Il s'ensuit que le contrat d'apprentissage à durée déterminée a été rompu abusivement par l'employeur (CA Douai, 30.5.25, RG n° 23-00768).

La rupture anticipée pour faute grave de l'apprenti

Les faits reprochés à l'apprentie doivent être" replacés dans le contexte particulier d'un contrat d'apprentissage, qui suppose une montée progressive en compétences et un accompagnement pédagogique renforcé". Les difficultés rencontrées, qu'il s'agisse de retards, d'erreurs ou de points méthodologiques, "s'inscrivent dans une logique d'apprentissage et ne traduisent pas, en l'absence d'éléments objectif contraires, un refus délibéré d'exécuter les tâches qui lui étaient confiées ou une carence fautive".

Dans ces conditions, si "les manquements énoncés dans la « lettre de licenciement pour faute grave », s'ils sont susceptibles de caractériser une exécution imparfaite du contrat d'apprentissage voire une incapacité de l'apprentie à réaliser les tâches attendues" de l'apprenti, ils ne sont pas constitutifs d'une faute (CA Orléans, 19.6.25, RG n° 23-02059).

Pour aller plus loin sur ce point, voir notre actualité du 24 novembre 2025.

Ruptures à l'initiative de l'apprenti : résiliation judiciaire, prise d'acte, transaction

La Cour de cassation a décidé en 2022 que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article du Code du travail susvisé était sans effet (Cass. soc., 16.3.22, n° 19-20.658). En revanche, les juges ne se sont pas prononcés sur les autre motifs de rupture à l'initiative de l'apprenti que ceux précisés à l'article L6222-18 du Code du travail.

Résiliation judiciaire demandée par l'apprenti

De nombreuses Cours d'appel sont saisies d'affaires dans lesquelles l'apprenti a demandé la résiliation judiciaire du contrat d'apprentissage. Certaines Cours reçoivent favorablement cette demande en se fondant sur le principe d'exécution de bonne foi du contrat de travail mais également sur les règles du Code civil. En effet, le législateur prévoit que la partie à un contrat envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut provoquer la résolution du contrat (Art. 1217 du Code civil- Art. L1222-1 du Code du travail).

Un salarié, y compris un apprenti, peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il lui appartient alors de rapporter la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur. Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail (CA Besançon, 20.6.25, RG n° 23-01669).

En particulier, l'employeur est responsable de la rupture prématurée du contrat d'apprentissage :

- lorsque l'apprenti a été victime de violences et voies de fait sur son lieu de travail, de la part de collègues ou de son maître d'apprentissage, dans le cadre de son travail. L'employeur est responsable pour avoir failli à son obligation d'assurer la santé mentale et physique de son salarié dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat (CA Pau, 22.11.24, RG n° 22-01271Cass. soc., 5.2.92, n° 88-40.597Cass. soc., 28.04.94, n° 90-45.472) ;
- lorsque l'employeur cesse de fournir du travail et la formation pratique à l'apprenti (CA Caen, 3.7.25, RG n° 24-00975) ;
- lorsque l'employeur cesse de régler les salaires ou ne paye pas les heures supplémentaires exécutées par l'apprenti (Cass. soc., 6.12.95, n° 92-42.427CA Caen, 13.3.25, RG n° 23-02254) ;
- lorsque l'employeur supprime l'hébergement dont bénéficiait l'apprenti (Cass. soc., 14.6.00, n° 98-42.385) ;
- lorsque l'employeur ne respecte pas, de façon répétée, les dispositions règlementaires concernant la durée du travail, notamment celle relatives aux jeunes travailleurs. Par exemple, un apprenti de 16  ans travaillant de nuit car il commençait ses journées de travail à 5 heures, sans autorisation préalable de l'inspection du travail (CA Pau, 22.11.24, RG n° 22-01271) ;
- lorsque l'employeur n'assure pas la formation objet du contrat d'apprentissage (CA Caen, 13.3.25, RG n° 23-02254) ;
- lorsque l'apprenti est principalement sollicité pour réaliser des tâches étrangères à la formation qui constitue le coeur du contrat d'apprentissage (CA Toulouse, 10.1.25, RG n° 23-00519).

Le juge saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci quelle que soit leur ancienneté. Si les manquements anciens reprochés à l'employeur et qui n'ont pas empêché la poursuite de la relation contractuelle ne peuvent servir de fondement valable pour une résiliation judiciaire, la persistance de ces manquements rend impossible la poursuite du contrat de travail (CA Rennes, 12.6.25, RG n° 22-04167).

La résiliation judiciaire produit effet au jour où le juge la prononce, à la double condition que le contrat de travail n'ait pas été rompu entre temps et que le salarié soit toujours au service de son employeur. Dans l'hypothèse ou la résiliation judiciaire est justifiée, celle-ci produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (CA Rennes, 13.2.25, RG n° 22-02157 - CA Saint Denis de la Réunion, 3.4.25, RG n° 23-00263Art. 1224 du Code civil- Art. 1227 du Code civil).

La résiliation du contrat d'apprentissage aux torts de l'employeur ouvre droit au paiement d'une indemnité réparant le préjudice subi par l'apprenti du fait de la rupture anticipée du contrat. Notamment, ces dommages et intérêts peuvent venir réparer le préjudice moral de rupture en cours de contrat obligeant à la recherche d'un nouvel employeur pour continuer l'apprentissage et ne pas perdre le bénéfice d'une formation (CA Caen, 3.7.25, RG n° 24-00975).

Prise d'acte de la rupture du contrat par l'apprenti

Sur la validité de la prise d'acte dans le cadre du contrat d'apprentissage, les juges du fond adoptent des positions différentes d'une Cour à l'autre. L'absence de décision émanant de la Cour de cassation ne permet pas de lever l'incertitude sur la validité du recours à ce mode de rupture appliquée au contrat d'apprentissage.

Certaines Cours d'appel valident ce mode de rupture anticipée. Ont ainsi été retenus comme justifiant la prise d'acte de l'apprenti, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

- Le non paiement de toutes les heures de travail faites ainsi que des majorations dues concernant les modalités d'exécution du travail, de nuit, le dimanche ou les jours fériés. Ce manquement constitue l'inexécution d'une obligation fondamentale de l'employeur qui justifie, à elle seule, que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, pour ce motif, soit faite aux torts de l'employeur et qu'elle emporte ainsi les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (CA de Pau, 20.6.24, RG n° 23/02688) ;
- Les manquements de l'employeur en matière de durée du travail, de paiement des heures supplémentaires, de respect de la règlementation relative au travail dominical et le défaut de formation (CA de Toulouse, 10.1.25, RG n° 23/00519) ;
- Le non respect des durées maximales du travail et du repos quotidien minimal (CA d'Aix en Provence, 14.3.25, RG n° 20/02197).

En revanche, dès lors qu'il n'est pas démontré que l'employeur a exécuté le contrat de travail de mauvaise foi, la rupture n'est pas imputable à des actes ou manquements à ses obligations commis par l'employeur. Dès lors, la prise d'acte de la rupture s'analyse en une démission (CA de Lyon, 10.1.25, RG n° 22/00746).

D'autres Cours d'appel rejettent la possibilité pour l'apprenti de prendre acte de la rupture de son contrat, les juges rappelant notamment que les dispositions légales et règlementaires ne la prévoit pas. Ce faisant, ils valident le caractère nécessairement exhaustif des cas de ruptures anticipées du contrat d'apprentissage (CA de Montpellier, soc, 27.5.25, RG n° 22-03746 ).

Certains juges du fond, tout en rejetant de donner effet à la prise d'acte, acceptent la demande subsidiaire de l'apprenti et admettent la résiliation judiciaire du contrat d'apprentissage au regard de manquements de l'employeur (CA de Lyon, soc., 5.4.19, RG n° 17-04624).

Transaction

Une Cour d'appel a validé la rupture anticipée d'un contrat d'apprentissage par conclusion d'une transaction, sur le fondement de l'article 2044 du Code civil. La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître (CA de Nancy, 4.9.25, RG n° 24-00374).

oOo

Pour aller plus loin :

Inscrivez vous à notre session de formation "Sécuriser le contrat d'apprentissage : conclusion, rémunération, durée, ruptures, aides financières... ". Toutes les subtilités juridiques du contrat d'apprentissage sont décryptées : conditions de signature, durée du contrat, statut de l'apprenti, rémunération, rupture et financement... Cette formation opérationnelle permet non seulement de renseigner en toute sécurité le formulaire Cerfa mais aussi de répondre aux principales questions juridiques et pratiques posées sur ce contrat en alternance, notamment par les entreprises, les CFA, les cabinets comptables, les Opco...

Abonnez vous aux Fiches pratiques du droit de la formation. Les Fiches Pratiques du droit de la formation s'imposent comme "LA" référence juridique sur l'apprentissage.