L'exécution du contrat d'apprentissage sous le regard des juges du fond

Faute grave de l'apprenti, 45 premier jours de formation pratique de 45, absence de formation pratique, rôle du maître d'apprentissage … Autant de sujets qui ont été traités récemment par les juges du fond. Nous vous proposons un panorama de ces décisions rendues en 2025.

Par - Le 24 novembre 2025.

Bien que ne constituant bien souvent qu'une « jurisprudence locale », les décisions rendues par les juridictions d'appel peuvent servir à illustrer, voire à convaincre et à justifier. Les démonstrations des magistrats, leurs conclusions, peuvent servir à argumenter une position, voire à soutenir une démonstration ou une interprétation.

C'est dans cet esprit que nous vous proposons un panorama de plusieurs décisions rendues par des Cours d'appel sur l'exécution du contrat d'apprentissage en 2025.

A quelles conditions la faute grave de l'apprenti est-elle reconnue ?

Dans une décision du 6 novembre 2025, les juges de la Cour d'appel de Reims rappellent quelques principes de base concernant la preuve de la faute de l'apprenti mais également l'appréciation de sa gravité.

Un des intérêts de cette décision est de préciser que "le pouvoir disciplinaire de l'employeur porte aussi sur le temps de la formation dispensée au CFA", de sorte qu'il peut utiliser le récapitulatif d'absences établi par le CFA pour justifier des retards de l'apprenti qu'il sanctionne par un avertissement, et ce même si le CFA n'a pas, de son côté, mis en œuvre de procédure disciplinaire (6 novembre 2025 - Cour d'appel de Reims - RG n° 25/00619).

Rappelons qu'en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié (article L.1333-1 du code du travail). Le statut d'apprenti ne fait pas échapper l'employeur à l'application de cette règle.

Le caractère de gravité du manquement reproché à l'apprenti prend toute son importance lorsque l'employeur souhaite rompre de manière anticipée le contrat de travail puisque seule une faute grave autorise le licenciement pour motif disciplinaire (article L. 6222-18 du code du travail).

Il appartient à l'employeur ou à son représentant de "rapporter la preuve d'une telle faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables à l'apprenti qui constitue une violation des obligations résultant du contrat d'apprentissage ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'apprenti dans l'entreprise" (6 novembre 2025 - Cour d'appel de Reims - RG n° 25/00619).

L'enjeu est de taille puisque la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par la loi ouvre droit pour l'apprenti à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.

Si la lettre de licenciement est rédigée dans des termes trop généraux et non contextualisé (exemple : "manquement au règlement intérieur, manquement aux obligations professionnelles,  comportement irrespectueux envers les employeurs, insubordination et insultes, comportement belliqueux envers un stagiaire, comportement provocateur visant au désordre dans l'entreprise"), le juge écarte l'existence de la faute (6 novembre 2025 - Cour d'appel de Reims - RG n° 25/00619).

L'employeur doit  énoncer les éléments fautifs de façon précise et objective et invoquer des faits (pas des généralités) qui doivent être matériellement vérifiables. L'employeur doit préciser les dates, les lieux et le contexte plus général de l'attitude fautive de l'apprenti. Enfin, ces faits fautifs doivent être imputables personnellement au salarié (et non à l'employeur, à un autre salarié ou à un tiers). "La lettre de licenciement fixe les limites du litige, et doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, c'est-à-dire l'imputation au salarié d'un fait ou d'un comportement assez explicite pour être identifiable en tant que tel pouvant donner lieu à une vérification par des éléments objectifs" (10 septembre 2025 - Tribunal judiciaire de Metz - RG n° 24/00304).

Tel ne sera pas le cas s'il " ressort de l'examen de ces éléments que les reproches de [l'employeur] ne reposent que sur les déclarations de certaines salariées et ne sont corroborés par aucun élément objectif" (10 septembre 2025 - Tribunal judiciaire de Metz - RG n° 24/00304) ou que les "retards de l'apprenti ne sont "pas détaillés ni datés ainsi que l'ont relevé avec pertinence les premiers juges et l'employeur ne communique pas ses horaires de travail" et que "les témoignages peu circonstanciés produits par l'employeur sont contredits par ceux de l'équipe éducative du CFA, qui attestent du sérieux, de l'assiduité et de la motivation de l'apprenti"(19 septembre 2025 - Cour d'appel de Besançon - RG n° 23/0108).

Une fois l'existence des faits rapportés, encore faut-il s'interroger sur leur gravité.

Si le degré de gravité diffère pour les différents manquements reprochés à l'apprenti "deux présentent une gravité quant à leurs conséquences: le non port délibéré des chaussures de sécurité alors qu'il en possédait des neuves fournies par son employeur, faits de nature à engager la responsabilité de son employeur, et le non-respect des consignes de son manager sur l'attitude à avoir à l'égard du client, faits de nature à nuire à l'image de la société" (6 novembre 2025 - Cour d'appel de Versailles - RG n° 23/03309).

La faute grave est ici retenue sur deux fondements :

  • le non respect des règles de sécurité ;
  • l'atteinte à l'image de la société.

"Les attestations de plusieurs clients et de salariés relevant le manque d'implication de l'apprenti - qui plus est, venait de commencer son apprentissage - étant insuffisantes à la démonstration d'une faute grave". Le fait que l'apprenti ait débuté son apprentissage entre donc en ligne de compte pour apprécier le caractère de gravité du manquement qui lui est reproché (9 septembre 2025 - Cour d'appel de Bordeaux - RG n° 23/00155).

Bon à savoir ! Des modèles types de lettres de notification de licenciement ont été fixés par voie règlementaire (décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017). Le Code du travail numérique propose également un modèle de Lettre de licenciement pour motif disciplinaire.

Que se passe t-il en cas d'absence de formation pratique ?

L'apprentissage est une forme d'éducation alternée : les temps en CFA et en entreprise, sont des temps de formation (article L6211-2 du Code du travail). Il en résulte qu'en absence de formation pratique, le contrat est détourné de son objet ce qui justifie sa requalification en contrat de droit commun à durée indéterminée (Cass. soc., 12.2.13, n° 11-27.525).

En conséquence de la requalification en contrat à durée indéterminée, l'employeur ne peut rompre la relation de travail du fait de la seule arrivée du terme du contrat d'apprentissage. Le salarié qui bénéficie de la requalification est considéré comme ayant occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement. "Le contrat ayant pris fin à l'arrivée du terme convenu et l'employeur n'ayant engagé aucune procédure de licenciement ni expédié de lettre de rupture motivée, il s'en déduit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse" (5 juin 2025 - Cour d'appel de Caen- RG n° 24-00562 - 26 mars 2025 - Cour d'appel d'Amiens - RG n° 24-00989).

Le fait que l'apprenti ait obtenu le titre préparé n'est pas un élément suffisant pour démontrer que l'employeur a rempli son obligation de formation. L'employeur doit rapporter la preuve "d'éléments établissant [qu'il a] assuré [à l'apprenti] une formation professionnelle sérieuse en adéquation avec le diplôme préparé". Le fait de ne pas "assurer une formation adéquate à un apprenti génère, en soi, un préjudice moral en exposant celui-ci à des lacunes dans sa formation". Dans la mesure où  l'apprenti a néanmoins obtenu le diplôme pour lequel il se formait, la réparation a été limitée par les juges à 800€ de dommages et intérêts (13 mars 2025 - Cour d'appel de Caen, - RG n° 23-02254).

S'il est constaté que l'apprenti "a été à de nombreuses reprises et parfois sur plusieurs semaines laissé seul dans l'entreprise en l'absence de la référente en titre et de tout autre référent, qu'il a été traité comme un salarié ordinaire plus que comme un apprenti, que la référente a été très réticente à ce qu'il puisse suivre ses cours et qu'il n'est pas justifié qu'elle ait elle-même fourni la véritable formation qu'elle devait fournir", il s'ensuit qu'il y a "un manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail et à l'obligation de formation". Les juges du fonds allouent à ce titre des dommages et intérêt à l'apprenti à hauteur de 1500 euros (30 octobre 2025 - Cour d'appel de Caen - RG n° 24/01003).

Le manquement à l'obligation de formation emportant par ailleurs la requalification en contrat à durée indéterminée, l'apprenti qui a pris l'initiative de la rupture, voit cette rupture requalifiée en "démission valant prise d'acte compte-tenu des motifs qui y étaient exprimés". Les manquements aux obligations de formation et d'exécution de bonne foi du contrat de travail empêchent en effet la poursuite du contrat ce qui rend la rupture imputable à l'employeur (30 octobre 2025 - Cour d'appel de Caen - RG n° 24/01003).

Si le fait que l'apprenti intervienne seul peut être un indice du défaut de formation, il ne suffit pas en soi. Ainsi, les juges de la Cour d'appel de Versailles rappellent qu' " il n'y a aucune obligation légale à ce que le maître d'apprentissage accompagne systématiquement l'apprenti dès lors que celui-ci est majeur" d'autant que les évaluations du jeune démontrent qu'il est autonome. Il en irait certainement autrement si l'apprenti était mineur (6 novembre 2025 - Cour d'appel de Versailles - RG n° 23/03309.

Comment apprécier si le maître d'apprentissage a exécuté sa mission conformément aux exigences du Code du travail ?

C'est la question qui était posée aux juges de la Cour d'appel de Versailles. Pour y répondre, ils commencent par préciser qu'il appartient au maître d'apprentissage "d'évaluer régulièrement l'acquisition des compétences et des connaissances de l'apprenti afin de l'accompagner progressivement, en tenant compte de ses acquis, vers une autonomie de plus en plus grande".

Quant aux modalités d'accompagnement, les juges du fonds considèrent suffisants la production de questionnaires d'évaluation, la réalisation d'actions dites "supervision sur site client/accompagnement terrain" et d'une fiche d'entretien bilan. Ils observent que les évaluations, sous forme de questionnaires, "participent à la formation [de l'apprenti] et à son suivi puisque c'est à partir de ses réponses que l'employeur a pu apprécier son niveau de maîtrise et les points faisant encore difficultés". Ces éléments permettent de conclure que "la formation de l'apprenti était organisée, suivie et contrôlée" par une équipe tutorale, chacun de ces tuteurs étant signataires des évaluations et bilan (6 novembre 2025 - Cour d'appel de Versailles - RG n° 23/03309).

Quelle est la conséquence d'un retard dans le dépôt du contrat d'apprentissage ?

Pour la première fois à notre connaissance, les juges du fond décident que la transmission tardive, avant le début de scolarité, du contrat d'apprentissage à l'Opco n'entraîne pas, en elle-même, la nullité du contrat (dans le même sens, sur la jurisprudence antérieure relative à l'enregistrement Cass. Soc. 28 octobre 2015 n°14-13.274). Ils précisent également que l'opération de dépôt est une responsabilité de l'Opco, non de l'employeur (21 octobre 2025 - Cour d'appel de Colmar - RG n° 23/00718).

Une période d'essai peut-elle être prévue en cas de poursuite  de la relation de travail après l'apprentissage ?

Si le contrat d'apprentissage est suivi de la signature d'un contrat de travail à durée indéterminée, d'un contrat à durée déterminée ou d'un contrat de travail temporaire dans la même entreprise, aucune période d'essai ne peut être imposée, sauf dispositions conventionnelles contraires (article L6222-16 du code du travail).

Pour les juges du fond, "en dépit de l'article précité qui ne prévoit pourtant aucune autre dérogation, il pourrait, le cas échéant, être envisagée une période d'essai si le poste occupé était totalement différent de celui occupé pendant le contrat d'apprentissage" (18 septembre 2025 - Cour d'appel de Caen - RG n° 23/01416).

Sur la question de la succession de contrat et la faculté de rompre dans les 45 premiers jours, voir notre actualité du 6 janvier 2025.

Comment calculer la période de 45 jours de formation pratique en entreprise en cas d'absence de l'apprenti ?

Pour rappel, le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties jusqu'à l'échéance des 45 premiers jours, consécutifs ou non, de formation pratique en entreprise effectuée par l'apprenti. Au-delà de ce délai, les conditions de rupture anticipée du contrat d'apprentissage sont strictement encadrées par le législateur. Il est donc important de déterminer l'impact de l'absence de l'apprenti sur le décompte de cette période probatoire (article L6222-18 du Code du travail).

Sont ainsi exclus les jours de formation théorique au CFA et les jours de congés qui suspendent l'exécution du contrat (voir notre actualité du 14 décembre 2023 sur l'arrêt Cass. Soc., 15 novembre 2023, n°21-23.949 et notre actualité du 11 mars 2024). Il en va de même des congés pour évènement familiaux (11 septembre 2025 - Cour d'appel de Rouen - RG n° 24/02586) et des jours fériés chômés (10 novembre 2025 - Cour d'appel de Toulouse - RG n° 24/01058).

L'employeur qui souhaite rompre le contrat d'apprentissage dans le délai des 45 premiers jours de formation pratique doit-il respecter un délai de prévenance ?

Le législateur au contrat d'apprentissage "ne mentionne pas le terme de « période d'essai » conformément aux nouvelles modalités de rupture introduites par la loi 2018-771 du 5 septembre 2018, en vigueur au 1er janvier 2019, qui a supprimé toute référence à une période d'essai" (10 novembre 2025 - Cour d'appel de Toulouse - RG n° 24/01058).  C'est donc "à tort que ce terme est employé, alors que la spécificité du contrat d'apprentissage est précisément de former le salarié apprenti".

Le délai de prévenance tel que stipulé dans l'article L 2121-25 relatif à la période d'essai n'est pas applicable. Le seul formalisme exigé est que la rupture anticipée du contrat d'apprentissage ou de la période d'apprentissage doit faire l'objet d'un document écrit notifié à l'apprenti (article R.6222-21 du Code du travail). La rupture pendant la période des 45 premiers jours de formation pratique ne peut donner lieu à indemnité à moins d'une stipulation contraire dans le contrat (article L 6222-21 du code du travail).

Quelle conséquence en cas de dépassement de l'horaire de travail auquel est soumis un apprenti ou de violation des dispositions protectrices des jeunes travailleurs ?

Aucune disposition légale ne sanctionne le dépassement de l'horaire de travail auquel est soumis un apprenti, ni la violation par l'employeur des dispositions protectrices des jeunes travailleurs par la requalification en contrat de droit commun d'un contrat d'apprentissage.

Le non-respect des règles encadrant les temps de travail n'est pas de nature, seul, à caractériser l'intention de détourner le contrat d'apprentissage de son objet (28 mars 2025 - Cour d'appel de Douai - RG n° 23-00501)

Que se passe t-il en cas d'absence de contrat écrit ?

Le contrat d'apprentissage est un contrat écrit qui comporte des clauses et des mentions obligatoires. Il doit être obligatoirement signé par l'employeur et l'apprenti (ainsi que par le représentant légal s'il est mineur) (article L6222-4 du Code du travail).

Il est généralement admis qu'en l'absence d'écrit, le contrat d'apprentissage est nul, il ne peut donc recevoir exécution et ne peut être requalifié en contrat de travail de droit commun. Dans ce cas le jeune travailleur peut seulement prétendre au paiement des salaires sur la base du SMIC ou du salaire minimum conventionnel avec application des abattements d'âge pour la période où le contrat a cependant été exécuté ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture des relations de travail (30 mai 2025 - Cour d'appel d'Aix en Provence - RG n° 21-07773 -  31 janvier 2025 - Cour d'appel d'Aix en Provence - RG n° 22-03951).

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