Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l’Emploi dans le gouvernement de François Bayrou.
La formation professionnelle à l'épreuve des restrictions et de l'incertitude politique
Un État moins généreux et plus exigeant. Avant l'été le gouvernement a annoncé une série de mesures pour équilibrer les comptes de la formation professionnelle, encadrer le marché et garantir la qualité des parcours, ouvrant un nouveau cycle. L'annonce surprise du Premier ministre d'un vote de confiance le 8 septembre relance l'instabilité politique, accentuant l'incertitude pour les acteurs. Comprendre les évolutions du secteur devient indispensable pour anticiper les impacts.
Par Catherine Trocquemé - Le 02 septembre 2025.
Réveil difficile pour les acteurs de la formation. L'été a été marqué par une salve de mesures gouvernementales aux effets bien réels dès cette rentrée. Le contexte politique instable ajoute de la confusion. Entre les économies budgétaires et une régulation renforcée , l'Etat pose un cadre plus contraint et plus sélectif. La parenthèse d'abondance se referme. Moins de moyens, plus de résultats : aux acteurs désormais de faire leurs preuves. A l'occasion de la présentation du plan qualité en juillet, l'État prévient. « Nous passons d'une culture de la norme à une culture de l'exécution opérationnelle ». La recherche d'économies s'intensifie. Les coupes se concentrent sur les dispositifs les plus coûteux, au premier rang desquels l'apprentissage et le CPF. Des arbitrages sous l'œil de Bercy, sans toujours prendre le temps de la concertation et de l'étude d'impact. Cette cadence imposée bouscule les stratégies établies. Les organismes de formation doivent dans l'urgence maîtriser le nouveau cadre réglementaire et adapter leurs pratiques, sans garantie de stabilité à l'horizon.
Financement, la fin de l'abondance
Largement soutenu au moment du « quoiqu'il en coûte », l'apprentissage paie le prix fort (voir notre article). Dans l'attente d'une réforme plus structurelle des modalités de fixation des niveaux de prise en charge, le ministère du Travail lance une série de mesures applicables dès le 1er juillet. Certaines affectent directement la gestion des CFA. Pour lutter contre des pratiques d'optimisation, le calendrier et les process de versements des niveaux de prise en charge changent. Le principe de « chaque mois de contrat débuté est dû », laisse place à une proratisation journalière. Le CFA touchera désormais son financement en 4 échéances dont le solde de 10% sur une facture à émettre dans les quatre mois après la fin du contrat. D'autres ont un impact brutal sur le modèle économique de certains CFA. La minoration de 20% du financement des formations en apprentissage réalisées au moins à 80% à distance leur impose des arbitrages drastiques en matière d'investissement technologique ou pédagogique (voir notre article). Au nom de la filière, EdTech France a saisi la justice (voir notre article).
Autre arbitrage budgétaire, la participation obligatoire de 750 euros pour les contrats d'apprentissage préparant à des titres de niveau 6 et 7 va faire évoluer les relations commerciales entre le CFA et l'entreprise. C'est en effet au CFA de facturer et de recouvrer ce « ticket modérateur ». Face à ces décisions gouvernementales, les acteurs de terrain s'interrogent (voir notre article). Y a-t-il volonté de faire peser les efforts sur le distanciel et l'enseignement supérieur ? Si oui, pour quelle vision de l'apprentissage ? N'y aurait-il pas d'autres critères à la modulation du financement ? L'incertitude les gagne. Faut-il s'attendre à d'autres coups de rabot ? Selon les informations du journal Les Echos, le gouvernement aurait l'intention de plafonner la prise en charge des bilans de compétence et du permis de conduire via le compte personnel de formation (CPF) pour une économie attendue de 250 millions d'euros.
Seule rescapée de justesse, la validation des acquis d'expérience (VAE). Le fonctionnement de la plateforme France VAE sera financé par le ministère du Travail, le dispositif sera éligible au CPF et des services seront développés pour faciliter les abondements des financeurs (voir notre article).
Une régulation par la qualité ?
Maîtrise la trajectoire financière et garantir la qualité de la formation. Le gouvernement tente de résoudre l'équation sans oser, pour le moment, conditionner l'une à l'autre. Le 24 juillet, quatre ministères présentent un plan structuré et coordonné (voir notre article). Une offensive qui renforce les trois fondations du système qualité. Sur les process des organismes de formation, la certification Qualiopi sera enrichie de nouveaux indicateurs. Plus exigeant, son référentiel sera notamment renforcé sur les formations en apprentissage et sur le volet de la qualité de l'organisation pédagogique. Des modalités d'audit plus rigoureuses, l'obligation pour les auditeurs d'obtenir une certification professionnelle et l'extension de son périmètre à toutes les formations certifiantes confortent la place centrale de Qualiopi dans le dispositif qualité.
Sur la qualité de l'action de formation, plus délicate à piloter, le gouvernement durcit encore les obligations des organismes délivrant des formations préparant à des certifications professionnelles. Le décret du 6 juin 2025 précise la forme juridique et le contenu des habilitations à former et à évaluer octroyées par un certificateur. Un effort sera également demandé aux certificateurs publics enregistrés de droit au répertoire national pour se rapprocher des standards de France compétences. A partir du 2e semestre 2026, les organismes de formation devront être spécialement habilités pour pouvoir préparer aux diplômes du CAP au BTS relevant du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Réarmement des politiques de contrôle
Enfin, sur le troisième pilier du système qualité, l'État muscle ses outils de contrôles et de lutte contre la fraude. Une vigilance accrue en donnant davantage de moyens et de facilités aux différents services de contrôle pour mener leurs missions. Les sanctions iront jusqu'à la suspension, l'annulation ou le refus de la déclaration d'activité. Le gouvernement prévient. La lutte contre la fraude sera sans concession. Longtemps attendu, un système d'alerte mutualisé améliorera la réactivité, la coordination et l'effectivité des contrôles. Reste encore ouverte la question sensible du contrôle qualité des financeurs. Un rapport préliminaire de l'Igas sur la mission de contrôle des Opco a été rédigé et fait l'objet d'un échange contradictoire avec les opérateurs. France compétences, de son côté, se voit conforter dans son rôle de régulateur sur le champ notamment du contrôle des actions qui préparent la certification professionnelle et lors de l'instruction des dossiers d'enregistrement aux répertoires.
L'État reprend la main. Les organismes de formation devront composer avec une équation délicate : élever leur niveau de qualité, optimiser leurs coûts et diversifier leurs revenus. Un virage stratégique s'impose, alors que l'Acte 2 de la réforme reconfigure un marché encore en quête d'équilibre entre logique de service public et impératifs de compétitivité.