Reconversions professionnelles : la négociation trébuche
Désaccords de méthode, inquiétudes de fond sur la sécurisation des parcours des salariés, imprécisions juridiques. Les organisations syndicales s'interrogent sur la réelle volonté de leurs interlocuteurs patronaux de conclure un accord national interprofessionnel sur les reconversions professionnelles. La séance du 16 juin devait être conclusive, mais débouche finalement sur une nouvelle négociation (et ultime ?) à venir, le 25 juin.
Par Sophie Massieu - Le 17 juin 2025.
Un texte encore lourd d'imprécisions juridiques, et porté à la connaissance des organisations syndicales seulement en début de séance du 16 juin. Pour les organisations syndicales, la négociation autour d'un accord national interprofessionnel sur les reconversions professionnelles pâtit d'abord d'un problème de méthode. « On n'a jamais travaillé comme ça, regrette Maxime Dumont, négociateur CFTC. Nous sommes très dubitatifs et nous nous sommes éloignées de la feuille de route du ministère. » « Il y a un problème de conduite de la négociation en tant que telle par la partie patronale, renchérit le CFDT Yvan Ricordeau. On ne s'y prend pas comme ça, sauf à vouloir la faire échouer. »
Pas encore d'échec. Mais en tout cas un report de la séance conclusive. Elle devait intervenir le 16 juin, au cours de la 6e séance de négociation. Et s'annonce finalement pour le 25 juin, au mieux.
Démissions forcées ?
Car l'autre reproche général fait au texte reste de taille : il ne sécuriserait pas suffisamment les salariés. Quoique toutes les organisations syndicales, au sortir de la séance du 16 juin, aient estimé le texte peu clair, elles considèrent en même temps que le risque demeure grand que la période de transition professionnelle, créée par le texte, ne conduise certains des salariés qui s'y lanceront vers France Travail. En cause : un risque de rupture de contrat, toujours bien présent, en cas d'utilisation du PTP. (projet de transition professionnelle). Une « présomption de démission » est introduite dans le texte. Inacceptable selon les organisations syndicales représentatives des salariés. Qui y voient une forme de démission forcée et ajoutent que cela pourrait bien se voir retoqué par le législateur au moment de la transposition de l'ANI dans un texte de loi.
De surcroît, la CFDT a pointé la question des congés de mobilité. Ils peuvent être proposés par les employeurs dans le cadre d'un accord de GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) ou de rupture conventionnelle collective aux salariés désireux d'entreprendre une reconversion. Ils ne figurent pas dans le projet d'accord. A la question de leur devenir, posée en séance par la centrale syndicale de Belleville, le
patronat a répondu qu'ils devaient être supprimés. Or, ils contenaient des avantages comme des indemnités de licenciement que les syndicats de salariés entendent bien, dans ce cas, voir repris par la période de transition supposée lui succéder.
Cofinancements utopiques ?
De son côté, la CGT insiste sur les difficultés de trouver les cofinancements de ces transitions professionnelles, pourtant demandées par le texte, au vu des restrictions budgétaires tant au niveau de l'Etat que des collectivités territoriales, à commencer par les régions. Elles sont en effet en première ligne en matière de formation, mais investissent déjà dans les Plans régionaux d'investissement dans les compétences, à destination des demandeurs d'emploi. La centrale de Montreuil déplore aussi, suivie en cela par la CFTC, que le texte en l'état ne prévoit pas de valorisation par la rémunération des nouvelles qualifications acquises par les salariés, une fois leur formation terminée.
Autre point d'achoppement toujours majeur : le compte personnel de formation, décidément trop peu à la seule main des salariés, aux yeux de ceux qui les représentent.
Angles morts et petites avancées
Des désaccords importants, donc. Au point de faire passer au second plan des revendications pourtant présentes lors des séances de négociation précédentes, notamment sur les entretiens professionnels et de bilan, la périodicité des premiers passant de deux à quatre ans, et des seconds de quatre à huit.
A côté des points de divergence persistants, CGT et FO se satisfont de quelques avancées. Sur le plan du pilotage en particulier, avec la conservation, pour les AT pro, de leur personnalité morale. Mais leurs conseils d'administration seraient supprimés, eux, toujours, comme prévu dans les versions précédentes du texte.
Des organisations patronales sur des lignes divergentes ?
Pour la 2e fois consécutive, les organisations patronales ne sont pas venues à la rencontre des journalistes à l'issue de la séance de négociation. Pour ne pas afficher leurs éventuels désaccords ? Certaines organisations syndicales n'écartent en tout cas pas l'hypothèse que les problèmes de méthode qu'elles relèvent découlent de difficultés pour se mettre d'accord entre elles pour les trois organisations patronales, Medef, CPME et U2P.
Le résultat, lui, est sans appel. Ce 16 juin, apparaissent bien peu d'avancées sur des points d'accord, donc, peu de modifications des positions des uns et des autres, et presque toujours autant de contours flous pour les nouveaux dispositifs. Malgré tout, personne ne claque la porte, et les organisations syndicales attendent de voir le nouveau texte patronal, qu'elles exigent cette fois de recevoir bien en amont de la prochaine réunion, du 25 juin, pour le passer à la moulinette de leurs services juridiques.
Même si les organisations syndicales et patronales parviennent à conclure le 25 juin, le texte ne sera pas prêt pour son examen en commission des affaires sociales le 23 juin, comme cela était initialement attendu. Ce qui aurait dû permettre sa transposition dans le véhicule législatif sur l'emploi des seniors. Sauf à passer par un amendement gouvernemental en cours d'examen en séance publique au Parlement.