Apprentissage, la formation à distance joue gros

Dernière ligne droite pour le décret actant une minoration de 20% du financement des formations d'apprentis à distance. La mesure techniquement difficile à appliquer, contestée sur le fond et perçue comme une incohérence politique suscite l'incompréhension. Pour certains CFA (centres de formation d'apprentis) digitaux, c'est une question de survie. Pour la filière Edtech, c'est un coup de frein brutal à la dynamique d'innovation.

Par - Le 13 juin 2025.

Un choc pour les entrepreneurs du digital qui ont investi le champ de la formation. Encensés pendant la crise sanitaire, les voilà aujourd'hui stigmatisés. Les CFA digitaux engrangeraient des taux de marge de 25% en moyenne.  Partant de ce constat, le ministère du Travail annonce, fin avril, une minoration de 20% des niveaux de prise en charge sur les formations en apprentissage réalisées au moins à 80% à distance, applicable dès le 1er juillet prochain. L'ampleur de la baisse provoque un vent de panique. « Nous nous mettons en mode survie. Nous devons dimensionner notre activité face à l'incertitude », explique un dirigeant. « Nous avons gelé nos investissements et nos projets de recrutement », déclare de son côté Nicolas Bergerault, fondateur de l'Atelier des chefs. Le lobbying s'intensifie. Vent debout, les représentants de la formation à distance montent au créneau (voir notre article).  Edtech France, Ainoa, les Acteurs de la compétences rejoints par un collectif informel de huit CFA à distance savent que le moment est décisif (voir notre article). Dictée par des impératifs d'économies immédiates, la mesure menace de déstabiliser une filière encore jeune. Elle passe d'autant plus mal que les professionnels ne comprennent pas la logique politique et contestent la grille de lecture du modèle digital adoptée par le ministère du Travail.

Un diagnostic construit sur des bases fragiles

Un taux de marge moyen de 25% sur des fonds publics et mutualisés. Voilà qui pose question rue de Grenelle. Les CFA, de leur côté, ne s'y reconnaissent pas et font leur calcul. En reprenant les données communiquées à France compétences par des adhérents volontaires, Ainoa arrive à une moyenne entre 8 et 10%. Comment expliquer ce décalage ?  Chez Edtech France, cela fait quelques mois que l'on perçoit le danger d'idées reçues sur une formation à moindre coût (voir notre article). « Le modèle économique du digital est mal compris. Les cycles de rentabilité ne sont pas linéaires », explique Orianne Ledroit, sa déléguée générale. Plus il y a d'apprentis, plus les investissements technologiques et pédagogiques augmentent. Sans parler de l'accélération des innovations de ruptures comme l'IA qui impose, d'une année sur l'autre, de nouveaux efforts financiers. L'effet post-crise sanitaire a accentué ce trait. La forte croissance de certains gros acteurs, pionniers dans la digitalisation, aurait biaisé la moyenne. Au final, la décision souffrirait d'une méconnaissance du fonctionnement du secteur.  Mais il y a plus inquiétant encore. Appliquer une modulation du financement en fonction d'une modalité pédagogique interroge (voir notre article). Et rend l'écriture du projet de décret délicate.

Un casse-tête réglementaire à la mise en œuvre incertaine

Car la formation distancielle couvre des réalités différentes. « On ne peut pas comparer les formations synchrones avec la présence en temps réel d'un formateur et les formations asynchrones », rappelle Aurélia Bollé, déléguée générale d'Ainoa. Les juristes (voir notre article) rappellent l'absence de définition précise de l'enseignement à distance. Cet « angle mort » ouvre le champ aux interprétations. Le choix de fixer à 80% le seuil de la minoration laisse également perplexe. Certes, si le taux avait été de 100% ou de 90%, certains auraient pu être tentés de passer entre les mailles en intégrant une petite dose de présentiel. Enfin, la dernière modification du projet de décret semble indiquer que le ministère du Travail commence à mesurer les effets potentiellement pervers de cette mesure. La nouvelle version prévoit ainsi une dérogation si tous les CFA d'une même certification professionnelle réalisent 80% de leur formation en distanciel. Si le cadre réglementaire tient du numéro d'équilibriste, son opérationnalité reste encore incertaine. Pour pouvoir être respecté, il nécessitera des explications et des précisions. Le contrôle des déclarations remontées à France compétences et de la conformité des acteurs ne sera pas non plus chose aisé alors, qu'au même moment, les contrôles qualité devront monter en puissance.

Un mauvais signal pour l'innovation sans cap politique

Face à la détermination du ministère du Travail, les représentants de la formation à distance ne désarment pas. Ils continuent d'avancer leurs arguments.  Complexité administrative augmentée, coup de frein aux investissements dans l'innovation, message brouillé sur le modèle économique du digital, fragilisation des acteurs d'une filière stratégique, opposition entre deux modalités pédagogiques à l'heure de l'hybridation et de la volonté de rendre accessible la formation à tous types de publics … la minoration des NPEC (niveaux de prise en charge) sur les formations en apprentissage à distance risque, selon eux, de coûter très cher à long terme. Pour une économie estimée entre 10 et 20 millions d'euros. La filière déplore une décision précipitée qui élude de nécessaires débats de fond sur la régulation par la qualité, la soutenabilité financière du système de l'apprentissage et des arbitrages clairs en matière de politique publique.

 

Pour aller plus loin, s'inscrire à la Grande journée de l'apprentissage de Centre Inffo.